Fernando de Amorim
Paris, 27 juin 2019
Pour l’auteur de ces lignes, l’endométriose peut avoir un statut de symptôme psychique fantasmatique, délirant ou hallucinatoire ; un statut de symptôme corporel, en l’absence de lésion, jusqu’à ce que, par lésion spontanée de l’organisme ou par intervention chirurgicale, elle gagne le statut de maladie organique.
Dans le statut psychique de l’endométriose, je mets en évidence la vraie souffrance psychique, sans qu’aucun élément biologique vienne valider la plainte de l’endométriose.
Dans le statut corporel de l’endométriose, elle peut être considérée comme asymptomatique. Dans ce cas, elle est découverte au moment d’une consultation où la femme évoque son intention d’être enceinte. Il est important que le psychanalyste puisse lire les symptômes et le champ dans lequel ils s’expriment : dans le corps ou dans l’organisme ? Et chez l’être, une telle expression s’exerce-t-elle au moment de l’apparition des règles (le devenir femme), ou au moment de vouloir avoir un enfant (le devenir mère) ?
Dans le statut organique de l’endométriose, le psychanalyste se doit d’être disponible pour nourrir le transfert avant et après l’intervention chirurgicale. Mais pour cela, il lui faut récupérer un bout du transfert que la malade a confié au chirurgien car, face aux symptômes et à la plainte, le psychanalyste se doit de mettre en place des stratégies de naissance du transfert.
Quand les femmes se plaignent des douleurs, souvent elles exigent une intervention médicale, voire chirurgicale. Dans la position de clinicien, soit dans la position de psychothérapeute ou de supposé-psychanalyste, je suis partisan de la stratégie clinique qui consiste à ce que, dès ce premier moment de rencontre avec la patiente, le médecin mette en place la clinique du partenariat, dispositif qui consiste, au nom de l’autorité du transfert, à ce que le médecin puisse avoir en tête de donner les coordonnées du psychanalyste à la patiente et qu’il l’invite vivement à prendre rendez-vous avec le psychanalyste. Cette greffe du transfert médical vers le psychanalyste, je l’ai nommée cônification du transfert. En revanche, si le psychanalyste entend la patiente exprimer, verbalement ou corporellement, une plainte douloureuse, elle doit être prise très au sérieux par le psychanalyste. Ce sérieux consiste à ce que, au nom de l’autorité du transfert, le psychanalyste invite vivement la patiente ou la psychanalysante à prendre rendez-vous avec son médecin, tout en demandant à cette dernière de rapporter les dires du médecin et son interprétation des examens. Comme je l’ai écrit ailleurs, l’inconscient du médecin interprète. L’inconscient du médecin, comme la Pythie de Delphes, parle sans entendre ce qui sort de sa bouche. Pour le psychanalyste, ce qui sort de la bouche du médecin, quand il est clinicien, a le statut d’une formation de l’inconscient.
Ainsi, d’un côté, le psychanalyste met en place et exige le respect de la règle d’association libre, et de l’autre, il surveille si les douleurs cèdent avec l’association libre ou si elles restent muettes aux effets du signifiant. Ce deuxième cas de figure indique au psychanalyste qu’il doit mettre en place la technique de l’écarteur – augmentation du nombre de séances – et une invitation à la patiente à ne pas négliger la prescription médicale, qu’elle soit médicamenteuse ou chirurgicale. Les douleurs gynécologiques, si elles sont ponctuelles ou chroniques, exigent du psychanalyste la mise en place de l’association libre. Cela exigera sans doute qu’il descende dans l’arène clinique pour examiner la raison pour laquelle les associations sont tellement difficiles. Ces descentes dans l’arène, vise à faire parler les organisations intramoïques que sont la résistance du surmoi et l’Autre non barré. Elles exigent aussi que le psychanalyste, ami de la médecine, mette son désir sur la table.
Le désir du psychanalyste est une distinction nécessaire dans la clinique du psychanalyste opérant avec les malades et les patients en médecine. La plupart des analystes ne savent pas faire la distinction entre la chute du signifiant du champ psychique vers la circulation de la libido dans le champ du corporel et de ce dernier vers l’organisme et, en sens inverse, la fluctuation de l’organique vers le corporel (la fantasmatisation de l’organisme), et de ce dernier vers le psychisme, par l’action des associations libres, de l’interprétation de l’Autre barré et donc de la castration (la corporéification de l’organisme, j’y reviendrai). Parfois, le désir de l’analyste est incarné trop tôt, comme dans le cas de figure où ce dernier reste silencieux alors qu’il y a le feu dans la cuisine du patient, en forme d’agitation transférentielle, agitation psychique (angoisse, agressivité), corporelle (douleurs sans lésion), organique (lésion, acte opératoire). Ces phénomènes exigent du psychanalyste qu’il descende dans l’arène.
Le désir de psychanalyste, incarné par la position de semblant de l’objet a, est possible quand la libido organique ou corporelle, circule dans le champ psychique et que l’être est sur le divan, c’est-à-dire, dans la position de psychanalysant. C’est à ce moment qu’il est attendu que les symptômes corporels d’endométriose cèdent ou que, dans le cas de maladie organique – grâce aux associations libres effectuées sur le divan, l’organisme, après intervention chirurgicale et même encore médicale (médicamenteuse) – deviennent corps. Cette corporéification de l’organisme – capacité du psychanalysant d’associer librement et enfin interpréter sa maladie organique, donnant ainsi à l’organisme malade le statut de corps souffrant –, indique que le moi et l’organisme sont cousus par la chaîne signifiante, construisant par cette opération symbolique ce qui est couramment par l’être dit : mon corps.
Toute la dynamique migratoire de l’endomètre doit être étudiée par le médecin. Le psychanalyste quant à lui, doit se limiter à ce que l’être, dans la position de malade, de patiente et surtout de psychanalysante, puisse associer librement et ensuite, le moment venu, interprète, comme un fruit mûr, la migration, la douleur, et même la lésion. L’association est le fil, l’interprétation est l’aiguille.
Parler de dimension psychologique de l’endométriose ne fait pas bouger d’un millimètre la problématique clinique, le mot (psychologique) ne dit pas la chose (endométriose, comme n’importe quelle maladie organique d’ailleurs). Il faut être psychanalyste, être toujours en psychanalyse, être freudo-lacanien, pour avoir plus de possibilité de savoir où se trouve le nord clinique, pour ainsi savoir opérer cliniquement avec un être porteur d’un symptôme corporel (douleurs, saignement en dehors de l’utérus sans évacuation par les règles, nodules, kystes, réactions inflammatoires, adhérences), qui peut se transformer en maladie organique (lésions). La douleur dans l’endométriose peut arriver au niveau de la douleur provoquée par une fracture, une colique néphrétique ou un accouchement. De là l’inutilité des interprétations psychologiques ou psychosomatiques, et d’où l’importance que le psychanalyste sache conduire la cure, qu’elle quelle soit : psychothérapie ou psychanalyse.
Pour saisir la logique de l’affaire, il faut mettre en place une collaboration étroite (clinique du partenariat) entre le médecin, le chirurgien et le psychanalyste, au service du discours – structuré comme un langage – de la patiente.
Ma proposition de distinction cartographique côté libido (pour le côté organique de la maladie endométriose) et côté signifiant (pour les côtés corporel et psychique du symptôme endométriose) vise à mettre l’accent sur le fait que, avant la lésion, nous avons affaire à une expression corporelle avec laquelle le médecin et le psychanalyste doivent travailler déjà ensemble. Dans la lésion, il faut l’intervention du chirurgien, du médecin et du psychanalyste. Ce dernier doit être présent pendant la période qui va du début de la rencontre avec le médecin ou le chirurgien (cônification du transfert), jusqu’à ce que le chirurgien et le médecin estiment être parvenus à leur limite clinique et que, l’être dans la position de psychanalysante, sorte de psychanalyse, prenant ainsi congé du psychanalyste. C’est ici qu’il est possible de parler de fin de traitement, et non au moment de la disparition du symptôme ou de la cicatrisation postopératoire.
Ce paradigme médico-chirurgico-psychanalytique vise à signer une nouvelle manière de traiter les expressions libidinales dans l’organisme, et signifiantes dans le corps.
Je distingue, pour résumer, l’endométriose comme maladie organique quand il y a lésion organique ou quand le chirurgien intervient chirurgicalement. Elle est symptôme corporel quand le moi signale le symptôme sans qu’il, le moi, parvienne à articuler le symbolique (associer le symptôme corporel à son histoire), en d’autres termes, sans qu’il puisse envelopper le symptôme corporel dans la chaîne signifiante, ce qui produit un effet d’apaisement du corps. Le symptôme psychique est l’idée d’avoir une maladie ou un symptôme sans preuve médico-chirurgicale. Dans ce cas, il s’agirait de fantasme (névrose ou perversion) ou délire (psychose). Seule la clinique avec transfert pourra démêler le vrai du faux.