Réponse au mail de Françoise Duplex
(Vice-Présidente de l’AFPEP-SNPP)
Fernando de Amorim
Paris, le 28 février 2020
Chère Collègue,
Chère Madame,
Directeur de la consultation publique de psychanalyse dans le IXe arrondissement de Paris, je partage mille fois vos remarques (votre mail intitulé « Attaque et abus de pouvoir contre les CMPP »), et c’est en ami que je vous écris.
Si nous ne nous organisons pas pour mettre en place un dispositif clinique afin que les êtres parlants, indépendamment de leurs maladies, puissent devenir sujets, nous passerons à côté de la tradition clinique franco-allemande et de l’avancée proposée à la psychiatrie par la psychanalyse freudo-lacanienne.
Hier j’ai reçu un message m’annonçant le décès du psychiatre Henri Vermorel. C’est au moment de son décès qu’il me semble possible d’examiner les résultats du travail d’un clinicien. Malgré l’estime qui est la mienne pour Monsieur Vermorel, il me semble qu’il nous faut envisager d’aller plus loin dans le désir du clinicien que de proposer, je le cite, « le contact avec la nature. ». En le citant encore : « c’est important pour un certain nombre de personnes et, en particulier, pour des patients schizophrènes ». Qui oserait dire le contraire ?
Et pourtant, dans sa remarque, comme dans votre mail, je constate un manque d’ambition clinique. Corrigez-moi si je me trompe, cependant, je pense que nous avons ce qu’il faut en France pour réanimer la flamme d’une tradition clinique qui n’existe nulle part. Or, que faisons-nous ? Nous attendons, nous mendions : nous attendons des subventions (dans le cas des directeurs des « CMPP » et des « CMP » qui ferment), nous attendons des subventions (pour les analystes qui ouvrent des « Centres »), nous demandons des subventions, (dans le cas des psys qui ouvrent des consultations « psys » (psychologues, psychiatres, analystes) et qui ferment au prochain changement de gouvernement).
Dans votre mail, après un bref historique sur les CMPP, vous mettez en évidence la gratuité des soins, les transports taxis prescrits « permettent des prises en charge salvatrices pour bon nombre d’entre eux. »
La question de la gratuité n’a jamais été épineuse, à la CPP-RPH que je dirige, puisque chaque demande de gratuité est examinée cliniquement au cas par cas. Et je puis vous assurer que, depuis septembre 1991 jusqu’à aujourd’hui, les personnes qui ne peuvent pas payer, payent toujours quelque chose, pour ensuite payer davantage, à savoir, une fois qu’elles ont mordu le fruit de leur désir. Cela exige un travail clinique et un désir que le clinicien régénère dans sa psychanalyse personnelle et dans le travail de partenariat mis en place avec le médecin traitant, le psychiatre, l’enseignant. Cela est fait de manière informelle mais la visée est que, le malade, le patient, le psychanalysant, puisse devenir sujet.
La politique de la misère, n’aide ni le patient, ni la société. Un psychiatre prescrit un taxi parce qu’il ne s’agit pas de son argent, si c’était le sien, il se montrerait beaucoup plus soucieux. Un jeune psychiatre me disait en supervision qu’« heureusement le malade était malade car, s’il venait à se soigner, il, le psychiatre, ne saurait pas quoi faire de sa vie ». Cette franchise est touchante.
Bien évidemment, la société a besoin du psychiatre, du psychologue, mais sans un partenariat serré, j’entends clinique, épistémologique, éthique et surtout sans concession avec le psychanalyste, toute tentative de sauvetage sera interprétée par le malade comme un naufrage. Aider n’est pas porter ni, surtout, transporter.
Un clinicien doit être dépendant de l’argent du patient. La dépendance des praticiens de l’argent public les déshonore car elle détériore toute possibilité pour ces derniers d’avoir l’aisance de conduire la cure selon les exigences de la clinique et non celles du « donneur de l’argent qui n’est pas le sien. » Bien évidemment l’ARS est devenu un centre expert, et alors ? Bien évidemment les diagnostics sont issus du DSM 5. Êtes-vous étonnée ? On n’arrive pas à traverser du point a au point b sans mendier une subvention. Comment voulez-vous que nous puissions tenir tête au tsunami idéologique de ce manuel ? Mettons sur pied un groupe de discussions et d’actions cliniques et évaluons-le dans six mois. Si cette expérience rate, je mange mon chapeau et je paye la tournée.
Il nous faut de l’autonomie, et elle viendra si nous mettons en place un dispositif qui fonctionne. La CPP fonctionne parce que, après avoir sollicité pendant des années les pouvoirs publics, je me suis décidé à acheter, avec mon épouse et l’accord de mes enfants (petits à l’époque), un local pour que les étudiants de psychologie et psychiatrie désireux de devenir psychanalystes, puissent recevoir des patients sans moyens financier.
Si chaque groupe de cliniciens (5, maximum 10) louent une pièce dans un bâtiment public, dans une mairie, dans une école, et qu’ils acceptent de former des étudiants et superviser leur conduite de la cure, je pense qu’il sera possible, en un an, d’évaluer l’expérience et voir si elle fonctionne ou non. La CPP a commencé avec l’auteur de ses lignes, il existe actuellement 8 CPP, les 20 cliniciens qui les portent sont d’accord pour laisser une plage horaire pour recevoir un patient adressé par le SETU ?, notre Service d’écoute téléphonique d’urgence (https://www.rphweb.fr/lieu-de-consultation.html). Ils ont assurés 46 230 consultations en 2019 (https://www.fernandodeamorim.com/details-bilan+des+activites+du+rph+2019-462.html).
Cette démarche est citoyenne, dans la tradition d’Hippocrate, de Freud et de Lacan.
Se plaindre des restrictions budgétaires ne touchera en rien l’avenir de la clinique psychiatrique. En revanche, si nous nous organisons, si nous mettons en place des dispositifs créés à partir de notre désir et de nos moyens, nous allons pouvoir sortir de ce circuit d’accablement incessant. La plainte ne supporte pas le désir. Attrapons donc le taureau par les cornes et le désir par la queue, comme l’avait écrit Pica-asso. Il nous faut du désir décidé car sans cela toute demande sera molle.
Je suis à votre disposition, ainsi qu’à celle du Syndicat pour qu’une « véritable politique », au « bénéfice des enfants et de leur famille », soit mise en place. Une telle démarche honorera la psychiatrie française.
Cordialement,
F. de AMORIM
Directeur CPP-RPH (Paris IXe)