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QUELLE PLACE POUR LA PSYCHANALYSE EN FRANCE ?

Faire semblant que ça n’existe pas n’empêche pas ça d’exister

Fernando de Amorim

Paris, le 13 février 2020

Ma période est difficile. Pour avancer mon séminaire sur la scientificité de la psychanalyse, je me retrouve à lire des textes épouvantables, des textes où le moi met en évidence sa vanité, son orgueil, sa pauvreté intellectuelle, son arrogance et sa haine de l’autre. Je suis en train de me farcir les textes des religions les plus archaïques, des dictateurs les plus ignobles et je dois laisser de côté ces moisgrenouillesquiseprennentpourdesbœufs pour commenter l’actualité.

1/ Madame Elisabeth Roudinesco, dans un entretien concédé à Eric Favereau dans Libération du 7 février 2020, affirme que « Dans les autres pays, les psychanalystes vont beaucoup mieux qu’en France, ils sont adaptés à la réalité ». Je ne partage pas cette idée puisque, beaucoup de praticiens à l’étranger que je rencontre, dans des conférences ou dans des livres, se présentent en tant que « psychologues-psychanalystes », « psychiatres et psychanalystes », « universitaires et analystes ». En un mot, ils ne sont pas véritablement des psychanalystes. De là leur adaptation « à la réalité. ». Elisabeth Roudinesco continue : « Les psychanalystes français se sont pris pour supérieurs aux autres… ». Mais ils le sont et grâce à Lacan. Le problème c’est qu’ils sont supérieurs mais qu’ils ont cédé sur leur désir, et donc, ils ont cédé de leur position de psychanalyste. Ce qui fait la supériorité de la psychanalyse française, et non de l’analyste français, c’est la langue française, c’est Lacan, c’est l’école de la République, la laïcité, l’influence des philosophes grecs, la formation franco-allemande de psychiatrie.

Ailleurs c’est une aberration parce que, ailleurs, il manque l’ancrage civilisationnel que je viens de citer. La dégradation de la psychanalyse française est due au désamour, voire à la haine de l’être envers le désir. Trouver que : « Il faut créer, comme partout dans le monde, des instituts privés pour former des psychanalystes en trois ans, après un cursus universitaire solide, et cesser de pratiquer des cures interminables… », c’est nier ce qui se passe en France, à Paris. La consultation publique de psychanalyse, que j’avais créée à l’hôpital Avicenne (AP-HP) en 1991, assure aujourd’hui, dans le IXe arrondissement de Paris notamment mais également dans d’autres arrondissements de la Capitale et en banlieue, quarante-six mille deux cent trente (46 230) consultations, ont reçu mille six cent dix-neuf (1 619) nouveaux patients et ont déclaré un million trente mille neuf cent quarante euros et quarante cents (1. 030. 940, 40) de revenus (Cf. Compte-rendu in.

La voie proposée par Madame Roudinesco est une fausse solution puisqu’ailleurs il n’y a pas de psychanalyse en tant que clinique. Il y a négociation, compromis, adaptation de la libido. En France, grâce à Lacan, l’enseignement peut être rigoureux, à condition de suivre le résultat de mes recherches. La conclusion la plus intéressante est celle que je décline en une phase : « la psychanalyse du psychanalyste est sans fin ». Cela signifie qu’il continue sa psychanalyse tant qu’il aura la responsabilité d’assumer des psychothérapies et des psychanalyses. Une telle proposition vise à protéger la psychanalyse, et surtout le psychanalysant, du moi de l’analyste.

2/ J’ai reçu une information sur un colloque à Lyon intitulé : « Qu’attendre d’un traitement court ? La psychanalyse comme boussole ». Un colloque qui commence avec une telle visée va vers les récifs, tournera en rond ou coulera, corps et biens.

La psychanalyse n’est pas une boussole, elle est un océan. D’ailleurs, je l’appelle océan inconscient, comme Magellan avait nommé, le 28 novembre 1520, océan pacifique. Les puristes diront que c’est Núñez de Balboa qui l’avait découvert en 1513 en l’admirant depuis l’Asie. Cependant, comme en psychanalyse, ce n’est pas en mouillant les pieds dans l’eau salée que quelqu’un devient psychanalyste, c’est en traversant l’océan, ce qu’avait fait Magellan, que quelqu’un gagne le droit de nommer ce qu’il a fait.

Loin de moi l’idée de vouloir tirer la couverture à moi. Mais je pense qu’il ne faut pas non plus exagérer.

C’était en lisant et traduisant « L’Ancienne médecine » d’Hippocrate avec ma préceptrice, Madame B. O., que l’articulation inconscient et océan m’est venue à l’esprit. Le pas suivant fut d’étudier la navigation et de passer des examens : je suis habilité à la navigation hauturière. Par la suite, j’ai émis l’hypothèse que les analystes ne comprennent pas la psychanalyse parce qu’ils pensent en terriens. Il faut entrer dans le bateau et faire la traversée avec le malade et le patient – navigation fluviale ou psychothérapie avec psychanalyste –, et le psychanalysant – navigation océanique ou psychanalyse –, pour saisir ce qu’est l’inconscient structuré comme un langage, la Mer d’Œdipe, la circumnavigation (sortie de cure de la névrose), la possibilité d’une île (sortie de cure de la psychose), mouillage (sortie de cure de la perversion).

Je me souviens de la plaquette d’un colloque organisé il y a quelques années par C. Smadja où l’analysant sur le divan est dans une position recroquevillée et l’analyste sur son fauteuil est largué, voire mort. Il y a du vrai dans cette image de l’analyste. Dans l’invitation des organisateurs du colloque fipa il y a du vrai aussi.

Dans les deux cas de figure, des conceptions morbides ou déroutées, de ce qu’est pour eux, une psychanalyse. Le psychanalysant que je suis s’insurge et dit haut et fort : « Vous n’y êtes pas du tout ! » ; « Peut mieux faire ! » ; « Retourner sur le divan. Locus que vous ne devriez jamais songer à quitter ! ».

Une psychanalyse est interminable, Madame Roudinesco, pour les psychotiques, et pour des raisons structurelles. Elle est interminable pour le psychanalyste, pour des raisons éthiques.

J’avais proposé une carte des trois structures . Elle est simple parce que, la conduite d’un bateau comme la conduite d’une cure, se doit d’être fluide, même si le réel s’en mêle.

Il y a quelques décennies, j’avais signalé à Messieurs Miller, Laurent et La Sagna l’importance que l’École de Lacan puisse avoir un pied dans le social. Monsieur Miller ne m’a pas écouté, même s’il insistait à dire « Mais si, je vous écoute ! ». Non, il ne m’écoute pas. Son CPCT est une entité à 5 pattes. Je lui avais dit : « Prenez exemple sur la CPP du RPH. L’expérience est concluante ! ». Un an plus tard il accouche du CPCT. Son CPCT ne forge pas un style, ne fait pas clinique et n’honore pas la psychanalyse. Si cela est écrit publiquement, c’est parce que cela lui a été dit en privé.

Il est possible d’occuper la position de psychanalyste, de gagner correctement sa vie sans être mi-analyste. Il est possible de servir la société et honorer la psychanalyse, la vraie, la française. À condition que les analystes suivent les indications issues de mon expérience de psychanalysant. Ce qu’ils ne sont plus depuis des lustres. S’ils jamais ils l’ont été un jour.

Mes recherches sont publiques : nombre de consultations, déclaration de revenus des vingt membres du RPH (maintenant je sélectionne serré, très serré !), cartographie de la clinique, carte des structures, brèves, livres.

Le tout, fait avec des jeunes cliniciens.

L’avenir de la psychanalyse est en France.

Preuve à l’appui.