Fernando de Amorim
Paris, le 21 mai 2024
Freud a lu Griesinger. Ce dernier écrit que « La parole est un phénomène beaucoup trop complexe pour qu’on puisse la localiser dans certains points déterminés du cerveau. »[1]
Mon intention est de proposer une lecture proche de celle d’Ambroise Paré. Cette lecture, cette prétention, vise à disséquer l’appareil psychique freudien.
La libido dans le sang
Au début, à la naissance, il n’y a que l’être, l’être aristotélicien, vivant car la libido coule avec son sang. Ce même être est dans la plus simple incapacité à comprendre ce qui se passe dans le monde dans lequel il vient d’arriver. Pour que l’être puisse comprendre, il faut – c’est une injonction – qu’il invente un Moi et que ce dernier puisse – deuxième injonction – avoir une conscience. Cette conscience naîtra de l’Imaginaire. L’Imaginaire est un produit du Moi.
Le Moi est une baudruche qui crache de l’Imaginaire. Le meilleur exemple de la matérialisation du Moi est le diodon.
Le diodon est un poisson non comestible, toxique, voire mortel pour l’être humain. Il a la capacité de gonfler quand il se sent en danger. Une autre de ses caractéristiques est d’avoir des piquants. Le Moi, selon ma métaphore, avale de la libido et crache de l’Imaginaire.
Anagramme
Le Moi est donc un diodon psychique et, pour m’amuser avec les lettres de ce mot, DIODON, je dirais que le Moi est « idio » par structure, qu’il fait « dodo » psychiquement et qu’il a de la « n » par aliénation.
Le Moi est un appendice de l’être. Une fois né, l’être s’éloigne au fin fond de l’appareil psychique, métaphoriquement parlant, pour éviter ainsi les perceptions et sensations qui lui arrivent partout dans le corps. Quand cette expérience devient insupportable, l’être abandonne la partie, c’est ce qu’en médecine je suppose être la mort subite du nourrisson, et quand l’être ne peut pas compter avec l’Autre par la voie, par le voir, par la voix parentale, il, l’être, abandonne la relation, pas sa vie. L’être abandonne la relation et non la vie dans la clinique de l’autisme.
Inutile de mettre en évidence le caractère hypothétique de ces deux registres humains, car ces hypothèses ne peuvent être confirmées que par les intéressés, qu’il s’agisse des nouveau-nés ou des enfants ayant un comportement autistique et de leurs parents. Il s’agit ici d’une lecture intrapsychique et non d’une lecture psychologique ou anthropologique. Je ne peux pas ne pas mettre en évidence l’étonnante organisation du discours sociétal pour ne pas constater la pauvreté sexuelle et affective des responsables de ces êtres.
Expérience de séparation et non de castration
Le Moi a la fonction d’accueillir les expressions internes et externes du Réel et ainsi d’inventer une logique qui lui soit propre pour comprendre ce qui lui arrive. Cette logique est sa réalité, sa réalité psychique. Au début de son entrée dans le monde humain, le Moi avale les informations sous forme de libido, de sons. Il n’est pas possible de parler de signifiant ici puisque, pour qu’il y ait signifiant, il faut une compréhension moïque. Quand le Moi n’est pas encore prêt, quand il est poussé trop tôt hors de la relation avec une mère aimante, porteuse d’un Moi aliéné et de ses organisations intramoïques, mais aussi réfractaire à l’Autre barré bienveillant, le Moi de la petite fille souffre de ne pas « être tout con », comme le Moi du garçon, lui, souffre de ne pas « être tout pénis », comme me l’a enseignée une psychanalysante. Il fallait – troisième injonction – que le Moi de la petite fille puisse avoir « assez d’aile » – assez d’elle répétera le clinicien, qui a été entendu par la psychanalysante, assez de sa mère en l’occurrence – pour voler avec ses propres moyens. L’être doit déterminer qu’il est temps de partir, de se séparer et non d’être séparé d’une manière telle qu’il, le Moi, se sent ignoré, snobé, voire rejeté par l’autre parental. Quand l’expérience de séparation se passe de cette manière, le Moi ne se sent pas fini, dira-t-elle. Dans le cas de la psychose, c’est l’être qui ne se sent pas fini. Ce n’est pas le cas de cette dame. L’être crache de la libido pour former le Moi, ce dernier crache de l’Imaginaire pour survivre, vivoter, vivre sa réalité psychique. Le Symbolique sera au rendez-vous de l’être quand ce dernier s’éloigne du Moi pour devenir intime de l’Autre barré.
[1] Griesinger, W. (1865). Traité des maladies mentales, pathologie et thérapeutique, Paris, Adrien Delahaye, Librairie-Éditeur, p. 31