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Rien

Fernando de Amorim
Paris, le 19 décembre 2023

Lacan vers la fin de son enseignement dit ce qui suit : « C’est moi qui ai commencé par lui donner son statut, au discours analytique, à partir du faire semblant de l’objet petit a, soit de ce que je nomme de ce que l’homme se mette en place de l’ordure qu’il est – du moins aux yeux d’un psychanalyste, qui a une bonne raison de le savoir, car lui-même se met à cette place. » (Lacan, J. (1975-76), Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 124).

J’ai eu affaire à une ordure récemment. Cette ordure m’a enseigné la différence entre faire chier et emmerder. Elle ne me faisait pas chier, ce qui est un acte fort relaxant. Elle m’emmerdait, elle jetait ses ordures sur ma tête, en catimini comme tout Moi lâche qui se respecte. Maintenant – en ne reconnaissant pas les efforts qui furent et sont les miens pour rendre la psychanalyse digne d’être discutée sans ciller avec la biologie, la physique et la médecine, ni qu’elle a été nourrie par ma transmission de la psychanalyse –, elle évite, sans élégance, de me nommer quand la théorisation l’exige. Elle fait semblant que mon enseignement n’existe pas. Pas étonnant qu’elle soit si accrochée au « semblant de l’objet a » lacanien. Une ordure.

La voie de la négation n’accouche pas d’un sujet dans la position de psychanalyste. Comme d’autres qui, par lâcheté, mais ayant un goût raffiné de la destruction, s’écrasent devant l’ordure, par crainte d’être écrasés. Ce n’est toujours pas la voie psychanalytique. Ni pour la conduite d’une cure ni pour la construction d’une existence.

Je tiens à l’objet rien. En voici les raisons :

D’abord Freud, ensuite Abraham, Klein, Winnicott, ensuite Lacan ont étudié l’objet. Ce dernier l’avait nommé objet a.

L’objet est l’objet de la pulsion. Il met en route la dynamique pulsionnelle. C’est cela qui produit une avancée, mais non le progrès.

Les objets évoqués par les analystes ci-dessus sont des objets fondamentaux et non l’objet originaire.

Il y a l’objet, celui de Freud, qui a comme visée de satisfaire la pulsion ; l’autre objet, celui de Winnicott, vise la relation. L’objet rien s’appuie sur le manque, manque propre à l’être dans son rapport au Réel.

Donc, les objets fondamentaux portent, mais ils n’ont pas le statut d’objet originaire qui ne porte rien puisqu’il est rien. Il n’est pas rien. Il est, parce qu’il est rien.

Freud a donné l’indication de l’objet rien dans son enseignement : Saint-Christophe porte sur ses épaules le Christ qui porte le monde. Sur quoi reposent les pieds de Saint-Christophe ?

Sur le rien.

Et cela n’empêche pas d’exister, selon le bon mot de Charcot.

C’est le manque produit par le rien qui fait tourner la dynamique pulsionnelle et non la satisfaction pulsionnelle par l’objet. Satisfaction imaginaire certes, mais à laquelle le Moi croit dur comme fer.

C’est à la sortie de psychanalyse, dans la position de sujet, que ce dernier, s’appuyant sur l’objet rien – que je représente par des accolades « {} » – construira, à partir de sa position féminine, indépendamment de son sexe, sa responsabilité de conduire aussi sa destinée. Ce qui dans le cas du psychanalyste, se déclinera par son désir de construire sa responsabilité de conduire son existence.

À partir de ma lecture de Lacan, probablement influencée par sa lecture de Heidegger et son « Das Nichts », Le néant (Heidegger, M., Sein und Zeit, p. 308 ; Être et Temps, p. 368), je propose cet objet originaire qui est le rien, « Nichts ».

L’objet a est un objet cause du désir, mais ce désir n’est pas le désir de l’être, il est le désir de l’Autre dans l’être. L’opération psychanalytique opère pour que l’être devienne sujet. Mais avant cela, il se doit de construire sa subjectivité et cette construction est possible si l’être se sépare, grâce à la castration, des objets d’identifications (maman, papa), des objets fondamentaux (mamelon, regard, voix, scybale, phallus), et qu’il se trouve, nez à « né » avec ce qui a marqué toute sa vie, à savoir se croire être. Il se croit être depuis sa naissance. L’être, en vendant son âme au Moi, habite sous les jupes de ce dernier, tout en payant un loyer au-dessus de ses moyens. Le désir n’est pas caché à la conscience, il n’existe pas puisque l’être ne le reconnaît pas. Il est possible de reconnaître un désir une fois accompli.

Freud part du principe que le nourrisson expérimente une satisfaction qu’il visera à répéter. Pour Winnicott, le petit est un fardeau. Lacan affirme que l’objet du désir consiste en un manque à être. Avec l’objet rien, j’indique que la première expérience du nourrisson est la détresse de ne pouvoir s’appuyer sur rien, que l’objet pulsionnel est le rien et la fonction de ce rien est de mettre en route la dynamique pulsionnelle pour que le désir s’appuie, cette fois-ci, sur l’objet a lacanien.

Le désir peut s’appuyer sur l’objet a pour le sujet (s). Pour le sujet désireux de devenir psychanalyste ($), le désir s’appuie sur l’objet rien. De là l’importance de continuer sa psychanalyse personnelle pour ainsi exister en tant que sujet et non en tant qu’ordure.

Le désir s’appuie sur l’objet a, mais le désir se trouve à l’extérieur de la dynamique pulsionnelle. Entre le désir et la pulsion il y a le rien. L’objet a est un objet perdu pour le Moi et donc inaccessible, mais cela laisse supposer que l’objet a était. La caractéristique de l’objet rien est qu’il est manque, c’est-à-dire ce qui n’a jamais existé pour l’être. Le désir est manque par son inaccessibilité et non par sa structure. Le rien est structurellement inaccessible. Un désir n’est reconnu qu’une fois accompli. Avant cela, il a le statut de fantasme ou de délire. Donc, ce qui cause le désir n’est pas l’objet a, c’est l’objet rien. L’objet a est un objet perdu pour le Moi, puisque ce dernier part du principe qu’il a eu et qu’il n’a plus, comme évoqué plus haut. L’objet rien est un objet propre à l’être, car ce dernier ne l’a jamais eu.

Chez les analystes, Winnicott est celui qui s’approche le plus de l’objet rien, mais comme l’entre-deux le caractérise – il est pédiatre et psychanalyste entre autres hésitations –, il n’a pas vu le rien qui se trouve entre le Moi et l’objet transitionnel. Il n’y a pas de surface entre interne ou externe, comme il n’y a pas de transition entre le Moi et l’autre. J’avais repéré l’objet rien, parce que Lacan m’a soufflé, éclairé la voie, même si, lui, a suivi une autre voie, elle aussi connue : celle de l’abandon.

Avant une psychanalyse, il n’y a rien entre les deux, entre le Moi et l’autre, de là l’angoisse. Après une psychanalyse, il n’y a rien entre les deux et c’est comme ça. Il faut donc construire à partir de ça.

Au cœur du nœud borroméen ne se trouve pas le « a », mais rien.

La frustration est une tromperie du Moi dans sa relation à l’objet ; la privation est la perte d’un objet que le Moi avait. Le vrai manque vient de la castration qui, en opérant avec le Symbolique, détrompe le Moi et dévoile à l’être qu’il n’a jamais eu, indépendamment du sexe de l’être en question.