Schéma César
Fernando de Amorim
Paris, le 23 juin 2022
Pour comprendre ce schéma le lecteur doit faire un effort d’imagination et s’appuyer sur ses lectures de Lamarck, Darwin, Freud et Lacan.
Le lecteur doit imaginer que chaque être humain, dès sa naissance, a un graphique qu’entoure une spirale comme le montre le schéma ci-dessous. L’astérisque (« M », « O », « P », « W », « X », « O », « N » Z ») représente l’être. Le lecteur remarquera deux « O ». Un à l’extérieur du graphique, un autre à l’intérieur. Celui de l’extérieur est un mort-né (Réel), celui de l’intérieur, porte le nom du mort (Symbolique), avec les conséquences qui viennent avec pour ce mort-vivant (Imaginaire). Un Monsieur est arrivé en consultation en disant : « Je vis avec un mort en moi ! ». La psychanalyse a fonction de castration de cet imaginaire.
La flèche verticale qui représente le temps (t), le temps qui passe et que l’être ne maîtrise point. La flèche horizontale représente la présence de l’être parmi les vivants. Ces deux flèches accompagneront l’être, au sens d’Aristote, avec les hauts et les bas, la spirale de la vie. La spirale représentée dans mon schéma est hélicoïdale. Elle existe avant l’être et existera après l’être. Les êtres représentés par les lettres « M » et « O », sont des mort-nés. Les êtres « P » et « W » et « O », sont des paumés, comme il se dit familièrement car ils sont hors de la vie symbolique, représentée par la spirale. Les êtres « X », « N » et « Z », sont sur la route de leur vie. Ces derniers auront plus de possibilités de construire leurs existences.
Et pourtant, et pourtant, ce schéma veut dire qu’il n’y a pas de garantie pour l’être, pour qui que ce soit d’ailleurs, vivant et parlant, sauf que ce dernier sait mais fait semblant de ne pas savoir sur la présence du maître absolu dans sa vie. Ce que ce schéma met en évidence c’est qu’aucune garantie n’est permise, même si elle est donnée, de manière imaginaire aux êtres parlants. De là l’angoisse. L’angoisse est un affect propre au Moi. Il est, dans un premier temps (t), un signal que l’objet est perdu et qu’il ne sera plus jamais retrouvé (E). Dans un deuxième temps, l’angoisse est un signal pour le Moi que l’objet substitut auquel il s’était accroché tellement pour éviter de revivre la première perte imaginaire, est en passe de disparaître ou est perdu. C’est l’alignement, pour le Moi, de la perte de l’objet perdu (objet a), objet jamais possédé, et la possibilité de perdre ou simplement la perte de l’objet substitut actuel qu’il croyait posséder, qui le met, qui met le Moi, en état d’angoisse.
Les êtres vivants sont en vie, mais pour les êtres parlants, être en vie, avoir un bon fonctionnement physiologique, n’est pas une garantie d’existence. En d’autres termes, pendant que les dés roulent, la construction de la vie est possible. C’est le message du schéma César. Il s’agit de la castration qui nourrit le désir. Une telle logique, déloge toute possibilité de lecture raciale, de rang ou d’avantage économique des êtres parlants. L’être pourra construire son existence à partir du moment où il s’alliera de manière décidée avec le manque.
J’aime l’exemple de l’être humain et sa radicale subjectivité : il est unique parce qu’il est né et aucun être humain est né dans le même espace-temps que lui. Cette affirmation est aussi une critique à la méthode horizontale, celle qui compare deux animaux et qui en tire des conclusions scientifiques. Que le lecteur imagine la naissance, dans le même espace-temps, des petits de l’hippocampe. Certes une dizaine naîtra au même temps dans le même espace-temps, mais dès les premiers instants de leur vie, ils seront différenciés par l’environnement. Ici la critique à Lamarck et à Darwin s’arrête : ces deux scientifiques ont pris en compte l’environnement. Ce que j’apporte, à partir d’eux, c’est que, pour l’être vivant, parlant ou non, il ne sait rien sur ce qui se passera à chaque instant de sa vie. Pour ce qui est strictement de l’être parlant, il pourra construire une interprétation fausse, par la voie du Moi (a), ou vraie, par la voie de l’être castré (ɇ) du Réel. Mais ses tentatives de lecture du Réel resteront toujours du registre de l’interprétation.
Jusqu’à présent, l’être abandonne sa responsabilité d’exister pour céder au Moi la conduite de sa vie. C’est ce que je nomme la politique du rancunier, ou selon les dires de Publias Syrus, cité par Jacques-Alain Miller : « La confiance est comme l’âme : une fois partie, elle ne revient jamais ». Une telle proposition rend le Moi à mère, si j’ose dire, et n’ouvre aucune voie au pardon, l’autre nom de la castration. Une psychanalyse déloge l’être de toute possibilité de répondre de quoi demain sera fait. Cette politique de désir engage l’être à devenir sujet et à construire son existence. Avant son décès.
L’être pourra construire son existence à partir du moment où il s’allie de manière décidée avec son désir, ce qui, il faut bien le reconnaître, n’est pas pour tout le monde. Un Moi aliéné, même éduqué et affranchi, je pense ici à Syrus, sera esclave même s’il est libéré des chaînes de ses organisations intramoïques. En d’autres termes, c’est le rapport de l’être avec le désir qui l’installera dans la condition de celui qui survit, qui vivote, qui vit ou qui existe.
Encore maintenant, c’est la lecture des naturalistes qui prime quand il s’agit d’interpréter l’être parlant. J’estime que les interprétations adressées à l’être humain sortent des lectures zoologiques ou botaniques.
Ainsi, à partir d’une psychanalyse et dans la logique du schéma César, puisqu’il m’a été révélé chez César R., il m’est possible de poser la question : pour quelle raison l’être tombe-t-il malade ? Il n’est pas possible d’en savoir la raison, même si la médecine pourra faire connaître au Moi la cause de sa maladie. En psychanalyse, il est possible que, grâce à l’interprétation symbolique, celle qui vient de l’Autre barré et est dite par l’être autorisé par l’Autre barré, il lui sera possible d’interpréter et ainsi diminuer, voire assécher, la libido du lit pulsionnel qui nourrit la souffrance, le symptôme, la maladie.
Dans la logique de ce schéma, la bêtise d’un enfant peut être pardonnée, la connerie reprochée à Madame la députée Rachel Keke peut être excuser, à condition que le Moi soit castré. Le malhonnête El Cano du début de la navigation de Magellan pourra devenir celui qui ramène le reste de l’équipage sain et sauf et qui mérite des armoiries représentant un globe avec l’inscription Primus circumdedisti mihi. Deux interprétations ici sont possibles : celle qui dit « Tu étais le premier à faire mon tour pour moi » et « Tu étais le premier à faire mon tour ». Dans la première, C’est le Moi de l’empereur Charles Quint qui se met en valeur. Interprétation imaginaire. Dans la deuxième, c’est le monde qui reconnaît l’entreprise d’Elcano. Interprétation symbolique.
Dans le schéma de César, l’angoisse n’a plus raison d’être, la frustration devient supportable pour le Moi, et cela parce que l’être est castré et donc il lui est possible d’exister à partir de l’objet perdu. Dans cette logique, le fils ne sera plus obligé de rassembler à sa mère et les filles à leur père, selon ladite sagesse populaire. La sagesse, la religion, la connaissance scientifique, deviennent éphémères car des interprétations humaines, puisque personne ne sait comment fonctionne le Réel, personne ne maîtrise ses lois, sa cohérence, ce qui n’empêche pas la poésie, la littérature, les théories et les guerres d’exister. En d’autres termes, rien n’empêche les interprétations symboliques et imaginaires du Réel.