Fernando de Amorim
Paris, le 10 décembre 2019
Une psychanalyse ne peut aller à son terme que si le clinicien occupant la position d’objet a occupe la position de psychanalysant. Pour ses confrères, il sera dans la position de supposé-psychanalyste – si celui qu’il écoute est sur le divan –, et dans la position de psychanalyste – si celui qui l’écoute devient sujet dans son rapport au désir et au monde.
Définir le désir du psychanalyste ne l’idéalise pas. Le désir du psychanalyste est ce qui l’anime à supporter le transfert. Le désir de psychanalyste est ce qui le fait supporter d’occuper la position d’objet a. Bien entendu il y a quelque chose qui reste à jamais inanalysé, mais cela ne justifie pas que quelques malins s’asseyent dessus pour théoriser une quelconque hypothèse de ce que certaines personnes seraient inanalysables. S’il y a transfert, le clinicien, qu’il soit de formation universitaire de psychologue, psychiatre ou médecin, a de quoi se mettre au travail.
Ce reste qui ne pourra jamais être analysé est une des raisons pour que le clinicien continue sa psychanalyse personnelle. Les patients et surtout les psychanalysants ne le payent pas pour recevoir ses restes à lui.
Je ne pense pas que la psychiatrie française aille bien. Elle ne va pas bien parce que le psychiatre français semble déboussolé, de même le psychologue et sa formation universitaire dite clinique. Les psychiatres et psychologues ont choisi le DSM et les techniques de dressage dans une logique pseudo-scientifique. Quant au psychiatre-psychanalyste, ce n’est pas en utilisant une partie de la clinique et de la théorie psychanalytique qu’il réglera son étourdissement technique, son embourbement méthodologique et sa difficulté à diriger les cures.
Lacan en faisant référence à Henri Ey, le considérait en civilisateur. C’est un mot fort. Depuis cette tentative de civilisation, le psychiatre s’aligne sur la logique nord-américaine et s’éloigne, voire abandonne la psychanalyse. La conséquence concrète de son choix c’est qu’il n’a pas d’instrument pour l’orienter dans son quotidien et il n’a plus sa psychanalyse personnelle pour le soutenir dans son rapport au désir. C’est pour le sortir de la difficulté face au transfert que je propose de mettre en place la clinique du partenariat.
Ce désarroi m’est indiqué aussi par l’usage d’une stratégie venue tout droit du Québec et utilisée dans quelques pays par des technocrates du mental. Il s’agit de donner à des anciens patients psychiatriques la fonction de « médiateur de santé pair ». Donner à un patient un emploi grâce à sa maladie est l’installer définitivement dans la position de malade. C’est aussi la preuve que les équipes de psychiatrie, à court d’idée, laissent aux malades psychiatriques le soin de mener des entretiens avec les soignants. Ainsi, le médiateur partagera sa propre expérience de la maladie et racontera comment il s’en est sorti. Si l’équipe soignante avait le courage d’examiner leur désir de passer leur journée avec des malades mentaux, ils n’auraient pas besoin de s’esquiver de leur fonction de soignant tout en utilisant un monsieur dans la position de médiateur pour leur apprendre sur ce qu’est la souffrance psychique.
L’enseignement sur la misère affective, la détresse psychique, la pauvreté sexuelle et amoureuse, se passe sur le divan, en voyageant sur les eaux de son propre inconscient, pas en se faisant voiturer – ou se faisant du pouce, si le lecteur m’autorise ce québécisme – sur la détresse de l’autre