La souffrance au travail
Il s’agit ici de souffrance au travail. Combien d’enseignants, de jeunes diplômés, se rendent compte du poids du mot clinique ?
Un psychiatre, « d’orientation analytique » comme il aimait à se présenter, avait tant interprété les dires d’un patient psychotique – (« Un homme au travail m’avait regardé de travers en venant à ma séance ! », « Je rêvais d’une sorcière ! », « J’ai eu des pensées agressives envers ma mère ! ») ; interprétations : « Cet homme représente l’analyste ! », « Dans votre rêve la sorcière représente l’analyste ! », « Votre agressivité représente l’analyste ! ») – que ce patient en était arrivé à la conclusion logique, pour lui, que s’il tuait le psychiatre sa vie serait plus supportable ; il était donc venu à la séance avec un révolver.
Le psychiatre-analyste, qui était kleinien mais pas idiot, demanda au patient, avant qu’il ne tire, de le laisser passer un coup de fil à son épouse (c’était une époque où les téléphones étaient attachés à un fil). Avec l’accord du patient, l’analyste se dirige vers la pièce où se trouve l’instrument et appela la police. Lorsqu’il arriva, il trouva le patient assis tranquillement, attendant le retour du docteur…
Il y a quelques années, une psychologue parisienne demandait à un patient de respecter la règle d’association libre tout en lui faisant aussi des massages. Un jour le patient essaye de l’embrasser, ce qu’elle refuse, et ce dernier la tue.
Dans les deux cas, la souffrance au travail est une évidence. Il s’agit de situations où les praticiens se servent de ce qui, dans la psychanalyse arrange leur Moi. Ils ne s’engagent pas effectivement avec la psychanalyse. Ce piochage dans les techniques et dans la méthode de la psychanalyse peut tourner au drame, voire à la tragédie.
Le fait divers que je viens d’apprendre me pousse à mettre en évidence une formation universitaire qui porte le titre de clinique, sans se rendre compte de la distance entre ladite formation et la vie quotidienne. Les psychologues, dans un premier temps, n’avaient pas affaire à la psychose, à la psychopathie. Ce registre était du champ du psychiatre. Avec le temps et vu la rareté, voire la pénurie de psychiatres, les psychologues se sont approchés de la clinique lourde, mais sans l’appui de la psychanalyse. Cet éloignement de la praxis psychanalytique se voit aussi chez le psychiatre qui s’est éloigné de la psychanalyse pour se contenter de la prise en charge médicamenteuse, asilaire ou des attestations de handicap, comme proposition thérapeutique.
Un homme tue un psychiatre. Il semble qu’il s’agit d’un retard dans le signalement d’un crime.
Que faire dans un tel cas de figure ? Faire un signalement immédiatement. Sans tergiversation.
Pour quelle raison cela n’a-t-il pas été fait ?
Si je critique depuis longue date le manque de rectification dans la formation du psychologue à l’Université en signalant qu’il leur manque cruellement de la psychanalyse en tant que clinique et théorie, quoi dire des autres formations de psychologue hors de l’université ?
Le psychologue formé à l’université ou au ras des pâquerettes, n’a pas de boussole clinique. La psychanalyse a mis en place une boussole, une cartographie, une carte pour que le clinicien se repère, agisse, modère, freine – sans tarder, sans hésiter – son action clinique. Pour quelle raison ne pas en faire usage ? Parce que les enseignants enseignent qu’il est possible de se passer de la psychanalyse. Qu’est-ce qui m’autorise à affirmer cela ? Car s’ils savaient de quoi il en retourne avec la psychanalyse, ils enseigneraient la psychanalyse et non la psychologie, théorique ou praticienne.
Pour que la formation du psychologue et du psychiatre soit solide, il est important de compter avec les écoles de psychanalyses, les réunions cliniques, les supervisions et surtout avec la psychanalyse personnelle sans fin, à savoir le temps de la durée de l’exercice professionnel.
Les psychologues universitaires ne sont pas prêts, ainsi que les psychologues d’école privée où des analystes louent leurs titres pour augmenter leur pitance. Au Brésil, en France et ailleurs.
Il est vrai que « le risque zéro n’existe pas », mais cette formule fourre-tout n’amènera les victimes à la vie. Surtout, selon lui quand une formation clinique impeccable, la psychanalytique, la freudo-lacanienne, pour être plus explicite n’est pas au rendez-vous.
La réalité des faits est établie par la police. Le clinicien se limite à, dans la séance, examiner dans le détail les dires. Au moindre soupçon de ce qu’il s’agit de fantasme ou de délire, il met en place la technique de l’écarteur pour l’affinage des dires. Sans preuve de fantasme ou délire, il fait le signalement immédiatement, sans tarder. La réalité des faits est de la compétence de la police, j’insiste. La police ce n’est pas un ennemi. La réflexion à engager sur la manière de mieux protéger les soignants commence par une formation digne de ce nom. La crainte de ne pas transformer les soignants en simples auxiliaires de la police met cette dernière dans une position qui n’est pas la sienne. C’est la police qu’il faut appeler quand le Moi, poussé par les organisations intramoïques, est pris dans une relation imaginaire et qui risque de faire sombrer corps et biens. Je vois la police comme un partenaire du clinicien.
La dénonciation, avec l’introduction de la police et de la justice, produit un effet de castration de la jouissance des organisations intramoïques. Il faut avoir une formation de psychanalyste pour ne pas rester dans le registre imaginaire du secret, très souvent de polichinelle.
Pour conclure, sans une formation psychanalytique solide, les études de psychologue et de psychiatre ne pourront que voir des drames. La formation de psychanalyse n’empêche pas le meurtre, mais elle prépare le clinicien à ne pas se mettre en danger par ignorance.