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S’en laver les mains

Fernando de Amorim
Paris, le 21 juin 2023

« Je ne suis pas responsable de ce sang »
Matthieu 27, 24

Personne ne semble être responsable de la France. L’Assurance Maladie cible 1 000 médecins à propos des coûts d’indemnisations. Il est question de 14 milliards d’euros en 2022. Les indemnisations concernent des indemnités journalières que les salariés ou sans emploi peuvent percevoir après un délai de carence de trois jours.

C’est un dispositif qui aide nos compatriotes dans l’incapacité de travailler afin d’éviter la double peine : malade et en plus sans l’argent pour payer leurs charges, leur nourriture et celle de leurs enfants.

Ce dispositif fait la grandeur de la société française et de la mentalité des plus argentés parmi nous.

Ce dispositif, beau, humain, solidaire, est toutefois malmené chaque année, le Moi et les organisations intramoïques prenant le dessus sur le Surmoi. Explication simple : le Moi est l’instance aliénée et aliénante par structure. C’est cette structure qui ne vient pas au travail laissant aux collègues la responsabilité de porter sa charge de travail. Son aliénation est telle qu’il ne se rend même pas compte de ce qu’il fait. Quand il s’en rend compte, les organisations intramoïques, surtout l’Autre non barré, lui disent : « qu’ils [les collègues] se démerdent ! » ou « Cela [arrêt-maladie de trois jours] servira de leçon au patron ! ». Un monsieur est tombé durant son travail : six mois d’arrêt-maladie. Rien de cassé, pas de traumatisme. Ses collègues portent sa charge de travail et l’ambiance est détestable. Je connais cette affaire puisque je suis client du lieuen question.


Pourquoi la CPAM vise-t-elle les médecins ? Parce que ce sont eux qui délivrent ces arrêts-maladies à la demande ou qui, parfois, proposent des arrêts-maladies à des patients. Une patiente, psychotique se plaint que son médecin lui avait proposé de renouveler pour deux mois son arrêt-maladie pour que la patiente puisse prendre ses psychotropes sans le stress du travail.

Bien évidemment, dans ces cas les conseilleurs ne sont pas – ils ne le sont jamais – les payeurs car, si tel était le cas, ils examineraient cliniquement la situation et adresseraient ces patients à la CPP, consultation publique de psychanalyse.

Je lutte contre cette logique de l’arrêt-maladie depuis fort longtemps. Une de mes filles, aujourd’hui mariée, m’avait interprété du haut de ses 9 ans : « Papa n’aime pas quand on est malade ! ».

Ce n’est pas que je n’aime pas, c’est qu’il faut arrêter quelqu’un quand cela est cliniquement justifié. Et cela, effectivement, est de la responsabilité du médecin traitant. La question aujourd’hui est que le médecin traitant n’a plus d’autorité pour refuser un arrêt-maladie sans justification : il a besoin d’amour et de patients.

Il a besoin d’amour car il est aimé quand il répond à la demande du patient, patient qui revient, adresse d’autres personnes à sa consultation et le note favorablement sur les réseaux sossiaux, cette arme de commérage dont raffole la vie sociale et qui l’affole.

Les médecins ont le pouvoir de prescrire des arrêts-maladie mais ils n’utilisent pas les arrêts pour faire de la clinique mais pour renforcer l’aliénation propre au Moi, qui à son tour est pris dans la logique de ses organisations intramoïques. En fin de compte, le salarié, la salariée, perd en dignité.

Suis-je en train de vouloir culpabiliser nos compatriotes ? Pas du tout. Cependant, il faut une politique de vie où la dignité soit au rendez-vous. Pour cela, quand je n’ai plus envie de travailler, je ne me fais pas arrêter pour me reposer et ensuite trouver un autre emploi, je ne me fais pas arrêter pour partir en fin de semaine prolongée, je ne me fais pas arrêter pour me faire faire une FIV à l’étranger, je ne me fais pas arrêter pendant 8 ans…

Ces démarches déshonorent l’être et accablent le système de santé. J’attire l’attention des médecins qui, en agissant de la sorte, n’aident en rien le patient, au contraire : ils accablent son Moi puisqu’ils ne révèlent pas à ce dernier que, par désir, il peut s’inscrire autrement dans le monde. La posture est lâche chez l’un et l’autre. Et la lâcheté est ennemie du désir décidé.

Solution : sensibiliser les médecins à travailler avec les psychanalystes pour que des solutions soient construites avec le patient pour qu’il sache pour quelle raison il ne veut pas travailler – celui qui ne le peut pas effectivement rentre dans un autre circuit thérapeutique, pour quelle raison il exprime son mécontentement, voire sa haine ou son désir de vengeance de cette manière. C’est là, très précisément, qu’intervient le savoir-psychanalyse au côté du savoir-médecine ; tous les cliniciens du RPH sans exception ont eu à ferrailler, et bataillent encore, avec la culpabilité de l’être pris dans l’arrêt-maladie et ses effets secondaires délétères. Le retour au travail, à un autre travail, est d’autant plus difficile que l’arrêt se sera prolongé.

Cette solution sera-t-elle prise au sérieux ? Je ne le pense pas un seul instant, du moins par l’Assurance Maladie. Nous ne sommes pas dans une période de décivilisation, nous sommes tous responsables de laisser entrer la barbarie, à savoir, la nôtre, celle de chacun au quotidien. La destruction de l’école, du système de santé est la manifestation de cette compétence humaine à refuser la joie d’être et às’attacher à la volonté de destruction.

Sans une lecture psychanalytique de la santé et du désir de ne pas savoir, il ne sera pas possible pour les citoyens de savoir pour quelle raison s’installe, sans crier gare, et dorénavant de manière décomplexée, la matérialisation de l’expression de la haine au quotidien.

Cette dépense de 14 milliards est dynamique et en accélération parce que, ce qui fait une société civilisée, c’est l’Autre barré et le Surmoi. Le premier modère les ardeurs de l’être avec bienveillance et le second avertit le Moi que sa déconnade aura des conséquences.

Il ne s’agit pas de « montrer les muscles », comme l’écrit dans son article Marc Payet (Le Point du 20 juin 2023) : rien de plus imaginaire que de montrer les poings ou de boire une bière cul sec. Il s’agit de responsabiliser les médecins dans leur fonction thérapeutique. Un arrêt-maladie n’est pas thérapeutique ; est thérapeutique de savoir pour quelle raison je suis tombé malade, pour quelle raison je ne veux pas travailler, pour quelle raison je m’applique à faire chier mes camarades.

L’augmentation de 30% des arrêts-maladie au cours des dernières années n’est pas uniquement une affaire qui devrait intéresser le Ministre des Finances. Il faut élargir la discussion à la formation des médecins, à la formation des psychologues désireux de devenir psychanalyste et à la mise en place des CPP.

Je souhaite attirer l’attention sur le fait que toute l’équipe de la CPP a traversé le confinement en assurant les consultations sans tomber malade. Notre société est malade parce qu’elle est portée par des majeurs et non par des adultes. Toucher sa paye sans travailler n’est pas une logique d’adulte. Le travail est bon pour la santé, bon pour le moral. Celui qui ne se sent pas bien de se lever pour aller travailler ne va pas bien. Ou il se fait hospitalier, la vraie position de malade, ou il change de travail. La nouvelle mode est de travailler à la maison. La maison est faite pour être en pyjama, avec ses enfants, jardiner, lire. Sauf travailler car, pour venir au travail, il faut se laver, se laver les dents, se raser, se maquiller, en d’autres termes, se faire belle ou beau pour l’autre. Le télétravail élimine cette relation avec l’autre pourtant fondamentale pour l’être social. Cette absence de limite déborde partout.

Quand le docteur Jérôme Marty, président de l’Union française de la médecine libre (UFML), estime que « les médecins ne sont pas responsables de la hausse des arrêts de travail », je me demande qui est le responsable ? Le Saint-Esprit peut-être. Les médecins sont responsables, tout comme les patients, tout comme la société toute entière qui accable le système de santé avec des gaspillages sans fondements cliniques : le remboursement des séances chez le psychologue par exemple. On dirait que nos leaders politiques ne descendent pas dans la rue pour prendre la température de la société qu’ils sont censés gouverner. Il ne s’agit pas de fraude mais, comme j’avais évoqué plus haut, de demande d’amour, de reconnaissance, d’estime du côté du médecin, d’aliénation du Moi, de volonté de vengeance, de rancune du côté du patient. J’insiste : je ne vise pas l’être dans la position de malade car ce dernier ne peut pas travailler, mais cela ne l’empêche pas de rencontrer le psychanalyste, si son désir est de ne pas faire porter la charge de sa maladie à la société toute entière. Il ne s’agit pas de culpabiliser mais de responsabiliser tout un chacun dans son devoir de maintenir la société dans un registre civilisé ou de la tirer vers la barbarie de laquelle tout un chacun est intime. Quant à ces arguments : « On ne peut pas reprocher à un médecin de faire trop d’arrêts de travail ». Le gouvernement doit reprocher à un médecin de faire trop d’arrêts-maladie, justement parce qu’il en fait trop.

Ensuite M. Marty dit « il [le médecin] n’a pas d’intérêt à le faire. ». Nous revenons à la demande d’amour. C’est son principal intérêt.

Il continue : « Dans ma consultation, je n’ai jamais vu autant de jeunes qui demandent des arrêts de travail de courte durée. C’est une réalité liée à une perception différente du travail chez beaucoup depuis la crise du Covid-19 ». Et pourtant, cette perception différente ne justifie pas un arrêt fait pour le concitoyen dans la position de malade et non comme une réponse à une lecture de la réalité. Déresponsabiliser les médecins (« Il est vrai que nous voyons beaucoup de gens qui souffrent d’épuisement professionnel ») sans envisager d’adresser ces épuisés vers le psychanalyste ne réglera pas le problème sérieux des dépenses de santé et poussera le problème pour plus tard – si on trouve encore de l’argent dans la caisse plus tard. Le « visage de la France d’aujourd’hui » ne doit pas être, qu’il s’agisse du politicien, du médecin, des enseignants dans les facultés de psychiatrie et de psychologie, celui de Ponce Pilate.