Fernando de Amorim
Paris, le 21 octobre 2021
A la psychologue P.
Il y a des êtres qui naissent, puis vivotent, d’autres qui survivent, d’autres encore qui vivent. Mais exister est une affaire qui engage une partie infime des êtres parlants.
Hier, j’ai reçu l’énième patient en arrêt-maladie. Il s’agit d’un homme qui est arrêté par son psychiatre depuis 7 ans et qui perçoit l’allocation adulte handicapé.
Ma question à l’homme à l’arrêt : « Etes-vous handicapé ? » « Non ! », fut sa réponse.
Amorim : « Pour quelle raison accepter donc d’être reconnu en tant que tel ? »
Monsieur arrêté : « Parce que cela m’arrangeait et comme mon médecin avait insisté… Il est algérien comme moi… ».
La pratique de la « merdecine », lecteur, n’a rien à voir avec l’origine du praticien, praticien que je suppose français puisque qu’il exerce en France. Il en est de même lorsque je me réfère au « psyconlogue ».
Il convient donc de distinguer la pratique médicale d’avec le « merdecin ». Pour la psychologie c’est une autre affaire. Le psychologue est au service du maître. Même si ce maître est l’idéologie du bien de l’autre.
Pas plus tard qu’hier, quelqu’un m’avait rappelé que je suis docteur. Oui, mais si docteur est un titre universitaire, je l’utilise pour me protéger de la méchanceté, des envieux, des jaloux. Et mon interlocuteur de répondre malicieusement : « En un mot vous vous protéger des connards ! ».
« Oui, en quelque sorte », ai-je répondu, « Mais sans grand succès, je dois l’avouer ! » ai-je ajouté, sans mon animation habituelle.
Mon absence d’animation est due au fait que, en quelque sorte, je n’étudie pas les hommes. Je les trouve bien fades, donc sans intérêt.
Les « connards » de mon interlocuteur correspondent, dans mon champ d’étude, au Moi. Et l’étudier cela m’intéresse énormément. Je suis toujours fasciné par la disponibilité du Moi à choisir la voie de l’aliénation au détriment de celle du désir.
Il me semble que je suis dans la ligne de mire de la psychologue Perrine Aime car, cette charmante dame, s’est donnée la peine d’aller voir mon site et d’y laisser le message qui suit : « Bonjour. Sur la page google de ce site il est spécifié Psychologue dans le 9eme, alors que vous ne l’êtes pas ; Usurpation de titre. ». Comme je n’ai pas l’habitude d’aller sur internet ni surtout de visiter mon propre site – Narcisse, quand tu nous tiens –, j’ai pu tranquillement n’en rien savoir.
Merdecin, psyconlogue. Ai-je perdu la tête ? Suis-je devenu insultant auprès de ces respectables praticiens ? Non. Je vise leur Moi, pas eux. Je vise ici, à faire appel au Witz pour indiquer que la tradition clinique, l’honneur, la rigueur, la vision d’ensemble, sont soumises au Moi fort et aux organisations intramoïques dans la distribution des titres universitaires. Suis-je psychiatre, gynécologue, psychologue, généraliste, comme tant de gens me nomment ? Pas du tout. Ces déclinaisons de titres universitaires ne disent rien sur mon désir. Quand, il y a presque quarante ans de cela, sur le divan, une voix avait finalement ouvert la bouche et dit : « Vous désirez devenir psychanalyste ? ». Je me suis levé de la séance étourdit. Dans la rue, j’ai vomi tout mon quatre heures.
Le même clinicien, quelques années plus tard dit : « La sexualité est très importante pour vous ? ».
« Oui, les hommes, je les trouve fades », ai-je écrit plus haut. Pas le sexe féminin. Le sexe féminin est une joie dans ma journée.
Ainsi, pour revenir au Moi hargneux : socialement et légalement je suis psychanalyste. Cliniquement, j’occupe la position de psychothérapeute ou de supposé-psychanalyste. Je n’usurpe rien de personne parce que je n’ai besoin de rien : reconnaissance, argent, sexe, amour.
Pendant une période, j’ai reçu des appels téléphoniques pour me signaler ce que faisait une employée en arrêt-maladie : « Elle se balade avec sa sœur ! », « Elle fume et après ne veut pas travailler ! ». Et d’autres merveilles du genre qui me font penser au dicton : « Dis-moi avec qui tu traînes, je te dirai qui tu es ! ». Pour quelle raison m’appeler, pour dire que je suis bon ou mauvais, moche ou beau, si l’interlocuteur ne m’intéresse nullement ? Je trouve fascinant cette idée que la vie de l’autre ait pour mon Moi une quelconque importance. Ce qui m’intéresse chez les vivants parlants, c’est de témoigner de la construction de l’existence. Et cette construction n’est pas pour tout le monde : qu’il soit médecin, secrétaire, psychologue ou analyste. Et ils savent qu’ils n’existent pas. Seulement ils font semblant de ne pas le savoir.
Suis-je intéressé par la vie d’autrui, qu’il soit médecin ou psychologue ? Non.
Suis-je intéressé par la lâcheté du Moi paresseux ? Surtout pas.
En revanche, ce qui m’intéresse c’est la compétence du Moi, guidée par les organisations intramoïques, à la mise en place généralisée de la dénonciation, de la calomnie, au détriment du désir de travail, de réussite et de la félicité que suit.
J’étais obligé récemment, de faire une distinction entre être dans la position de malade et être dans un état provisoire d’incapacité.
Le Moi des médecins s’installent dans la position de merdecin quand, par ignorance, incompétence ou lâcheté, ils donnent des arrêts-maladie sans justification clinique chirurgicale. Le Moi du malade profite véritablement d’un arrêt-maladie quand son organisme saigne. Quand ce n’est pas le cas, il s’agit d’un état provisoire d’incapacité, c’est-à-dire, une incapacité à faire usage de tout son organisme, et cela ne mérite pas un arrêt-maladie. Si quelqu’un est incapable d’utiliser sa main droite, il peut aller au travail, à l’école, et utiliser sa main gauche, et ses jambes. Pour quelle raison arrêter tout l’organisme ? Parce que les médecins ne pensent plus.
Or, les Moi des merdecins donnent des arrêts-maladies sans penser aux conséquences pour la société, pour le système social et pour l’individu en face d’eux, cela parce que ce n’est pas avec leur argent qu’ils signent ces arrêts-maladie et parce que ce n’est pas leur vie à eux qu’ils arrêtent ou mettent en suspens.
Quand les Moi des psyconlogues pensent que, en ayant un titre universitaire, ils sont cliniciens, toute institution qui les embauchent, pensent de même. Et tout ce petit beau monde se met le doigt dans l’œil. Et qui paye les pots cassés ? Ce sont ceux qui pensent qu’ils sont reçus par des cliniciens. Non, ils sont reçus par des diplômés en psychologie ou en psychiatrie.
Or, faire de la clinique humaine n’est possible aujourd’hui que si le clinicien a une solide formation psychanalytique, s’il est ami de la médecine, s’il est intime de la psychiatrie franco-allemande, s’il est cultivé, pour ensuite, se poster face à l’être devant lui – que cet être soit dans la position de malade, patient ou psychanalysant –, dans une position d’ignorance.