Fernando de Amorim
Paris, le 13 novembre 2024
Le fantasme de dévoration chez le Moi du névrosé et chez le Moi du pervers est chose courante. Un patient a des troubles de l’alimentation, une autre souffre de sa peur de vomir. Le Moi psychotique est certain d’avoir mangé son père ; de là l’angoisse abyssale et la terreur qui viennent avec. Le Moi psychopathique – psychopathique au sens d’aujourd’hui et non de Régis ou de Griesinger, à savoir de la maladie mentale unique, Einheitspsychose – n’a pas d’angoisse. Le Moi psychopathique jouit. Il jouit de manipuler, d’agresser, de violer, de tuer, par accomplissement pulsionnel et par vengeance. Il jouit de manger la chair de son semblable. Il n’a pas d’horreur. C’est totalement différent des passagers du vol 571, disparu dans les Andes le 13 octobre 1972, qui ont dû, pour survivre, manger de la chair humaine. Cette tragédie n’a rien à voir avec la psychopathie, parce que les survivants n’en retirent pas d’accomplissement pulsionnel ou de satisfaction à raconter leur vécu. Ils sont gênés, ils ont honte. Preuve qu’il s’agit d’un Moi névrosé.
Le Moi du névrosé peut affirmer qu’il digère ses parents, mais il s’empresse de dire qu’il ne les a pas mangés pour de vrai, qu’il s’agit d’imagination, d’un fantasme. Parfois, le Moi du névrosé craint de supprimer sa vie, car il sait que s’il supprime sa vie, il se supprimera lui-même aussi. Le Moi du névrosé se précipite à dire que sa vie lui appartient, ainsi que son corps. C’est faux, mais le Moi croit au père Noël.
Un jeune homme m’interpelle afin de savoir pour quelle raison je ne suis pas d’accord qu’il arbore une boucle d’oreille quand il reçoit des patients.
Je n’ai strictement rien contre l’usage de boucles d’oreille chez les jeunes hommes qui ne comptent pas, à savoir ceux qui ne sont pas cliniciens à la CPP (Consultation Publique de Psychanalyse). Pour ceux qui comptent et, surtout, pour ceux qui désirent devenir des cliniciens, indépendamment de leur formation de psychologue ou de psychiatre, j’essaye de les sensibiliser à l’acte sans possibilité de retour quand il s’agit de blesser sa chair avec des scarifications, des cicatrices, des tatouages, des piercings.
Comme les jeunes gens n’ont pas de repères, que l’autorité symbolique a fichu le camp, les laissant désemparés, j’utilise l’autorité du transfert pour indiquer la voie de la castration et non celle de la jouissance. Je rassure le lecteur : ce n’est pas gagné d’avance.
Pour ce qui est du jeune homme qui désire devenir psychanalyste, je l’invite à abandonner cette jouissance pulsionnelle, car comment avoir l’autorité de dire à un patient de ne pas se faire du mal quand il affiche l’exemple opposé à son oreille ?
La position de l’être est une position de dépouillement quand il occupe la position de sujet. La position de psychanalyste est une position encore plus dépouillée, puisqu’il est sujet au quotidien et objet cause de désir dans la clinique. Il occupe une position d’objet cause de désir, il n’est pas semblant d’objet. Je ne dis pas que cette formule « semblant d’objet » est fausse ; je m’empresse de la contester, parce que j’avais remarqué l’évidence qui a été donnée par une personne au mot « semblant ». Ce mot, chez ladite personne, était marquée d’une telle emphase qu’il fallait être sourd pour ne pas entendre l’indication qu’elle, son être, donnait au mot.
Ainsi, le psychanalyste n’est pas semblant d’objet a, il occupe la position d’objet a. Cette position exige de lui de supporter le transfert du Moi et la relation de ce dernier au sein, à la selle, au regard quand ledit Moi était petit, ou toute petite, comme dans le cas de la dame en question.
Quand je sollicite le Moi de parler ainsi, à la cantonade, sans intention, sans prétention, je vise à ce que l’être aille vers l’Autre barré qui est, dans son cœur et grâce à la barre, manquant.
Cette opération est difficile, voire peine perdue, car le Moi de la dame espère séduire, se distinguer, se faire passer pour ce qu’elle n’est pas, enfin, pour ce qu’elle n’a pas.
Une telle stratégie ne donne pas de garantie que le clinicien réussira à dégonfler le Moi et que l’être sorte de son trou.