Fernando de Amorim
Bellevue, le 8 août 2024
« Quand j’étais sur le fauteuil, je m’adressais à vous, maintenant sur le divan, je parle avec moi-même », me dit un psychanalysant. Laure Baudiment, dans son dernier Bulletin du RPH, n° 53, rapporte qu’une psychanalysante lui dit que le divan, « c’est une opération à bouche ouverte », en faisant un lien avec la chirurgie à cœur ouvert. Dans cette intervention, le chirurgien, pour opérer, a besoin d’un champ opératoire sans mouvement et sans sang, ce qui signifie que la machine de circulation extracorporelle va remplacer le travail cardiaque et pulmonaire pendant l’intervention.
Pour revenir au psychanalysant dont je parlais en introduction, il est venu me rendre visite parce qu’il souffrait d’un stress permanent. Il était allé voir un psychiatre qui lui avait prescrit quelques anxiolytiques qui n’avaient pas forcément réglé l’affaire, à savoir sa souffrance au quotidien. Une psychologue, « psychologue clinicienne » comme elle s’était présentée, lui avait proposé un rendez-vous hebdomadaire. Entretemps, des pensées terrifiantes et de l’angoisse permanente l’empêchaient de travailler correctement.
Son travail est très prenant, mais il lui plaît. Il s’agit d’un métier médical, une spécialité très poussée en chirurgie. Il gagne correctement sa vie, mais il n’a pas le sentiment de mériter la somme qu’il reçoit. C’est « de l’argent non mérité », dit-il.
La culpabilité se présente de plusieurs manières. Ce monsieur, pour s’apaiser, met sa vie en danger avec des comportements suicidaires. Père de deux enfants, il n’a de paix que très rarement dans sa journée. Il dit être né dans une société magrébine, mais avait choisi la société française. Son problème est que sa famille lui rappelle toujours d’où il vient, qu’il faut aider les parents, les proches, les proches des parents, les amis restés au bled. Il se dit être une véritable vache à lait.
Au début de sa psychanalyse, il commence à prendre ses distances avec ses proches en changeant de quartier, puis en les appelant moins, puis en ne respectant pas les injonctions religieuses et idéologiques de son père.
Après quelques mois de psychanalyse, ce monsieur décide de se marier avec une Française. Son père refuse de la reconnaître et le monsieur répond à son père : « Je la reconnais et c’est largement suffisant ! ».
Il décide de changer de ville, se marie et devient père d’un jeune garçon. Il décrit actuellement une vie de travail mais aussi d’apaisement. Plus d’angoisse le matin, plus d’anxiété à entrer dans le bloc opératoire. Il dit : « La gestion de mes troubles obsessionnels se fait au quotidien de manière raisonnable. » Il m’avait demandé mon avis sur les thérapies comportementales et cognitives, puis, au cas où il aurait un problème avec son épouse, si j’étais d’accord pour une thérapie conjugale.
Face à mon silence, il enchaîne sur la maladie de Lyme – ce qu’il n’avait jamais évoqué en séance – et le fait qu’il se sente « épousé ». Il rectifie : « épuisé ».
Une fois l’association libre sollicitée, il enchaîne avec la difficulté de se libérer des pressions exercées par son entourage de vivre en homme libre. C’est ainsi qu’il se présente depuis qu’il se dit français à part « entière ».
Sortir des griffes de la famille, indépendamment de sa nationalité, est une bataille de tous les jours.
Il décide de diriger un service de chirurgie dans un pays francophone en Europe et de mériter l’argent reconnaissant de sa compétence. À la dernière séance, il me signale que son épouse est enceinte de son deuxième enfant.