La technique du précédant
Fernando de Amorim
Paris, le 9 février 2020
A la jeune V.
In memoriam
La psychanalyse c’est du sérieux. Au sein de la consultation publique de psychanalyse, aucun suicide depuis septembre 1991. Je rabâche cela depuis des lustres aux autorités sanitaires, aux universitaires, aux psychologues, aux psychiatres, aux analystes. Pour quelle raison ? Parce que, en suivant les indications des patients de Freud et de Lacan, indications laissées par l’enseignement écrit et oral de ces deux cliniciens, je me suis attaché à faire respecter ces indications techniques aux cliniciens dont j’ai l’honneur et la responsabilité d’assurer la formation clinique et le forgeage stylistique.
Avant de passer à la raison de cette brève sur la technique, je tiens à signaler que toute la journée de ce dimanche, des membres cliniciens du RPH ont assuré des séances extrêmes : des parents qui délaissent leurs enfants ou veulent les tuer, des jeunes qui veulent tuer d’autres jeunes, des discours suicidaires. Le tout est réglé dans le cadre des conduites cliniques à partir de la boussole freudo-lacanienne.
Depuis ce matin je suis l’affaire de la jeune Vanille. En arrivant à ma consultation pour recevoir quelques personnes, le dimanche soir donc – puisque c’est le soir et la fin de semaine que le moi se détend et le retour du refoulé revient en puissance –, j’apprends par une application imposée par mon téléphone que la fillette a été retrouvée morte. Au moment de fermer cette application, une autre me propose « Mozart pour enfants ». Cette autre application imposée fut, cette fois-ci, acceptée.
Je suis venu une heure avant pour écrire cette brève, et quand j’écris, ma rigidité impose un silence absolu autour de moi.
Pour la brève d’aujourd’hui, je suis accompagné, comme lorsque je n’écris pas, de Monsieur Mozart. Aujourd’hui il n’y aura pas de silence. Exceptionnellement, j’accepterai du « Mozart pour enfants ».
Tous ces malades, patients et psychanalysants qui sont écoutés par les cliniciens qui dédient sans compter leur temps et leur vie à la psychanalyse, disent leur haine, leur désir de destruction, dans le cadre de la séance. Cela évite, jusqu’à cet instant où j’écris ces lignes, d’éviter des passages à l’acte irréparable. Le psychanalyste a son mot à dire cliniquement quand une mère ou un père veut tuer son enfant. Je pense à Serge Lebovici qui avait dit à une mère qui secouait son bébé : « Vous n’allez pas continuer à la secouer, n’est-ce pas ? Et avec un sourire bienveillant : ce n’est pas une poupée… N’est-ce pas ? ». Lacan disait à quelqu’un qui voulait tuer : « Ne vous sentez pas obliger de le faire… ».
Dans ces deux formulations, le clinicien français, forgé à la psychanalyse, invite le moi à ne pas céder aux injonctions de la résistance du surmoi, tout en proposant ce que, grâce à mes amis chirurgiens, j’avais appelé la technique de l’écarteur. Cette technique sert à proposer au moi une dialectique avec suffisamment d’oxygène pour que le moi s’accroche au transfert et ne pas obéir aux organisations intramoïques. Le ne pas céder sur son désir lacanien est différent de céder aux injonctions des organisations intramoïques.
Maintenant, je me pense capable de passer au sujet de la brève d’aujourd’hui.
La technique du précédant consiste à ce que le clinicien demande à l’être, dans la position de malade, patient ou psychanalysant, la pensée qui a précédé le symptôme, qu’il soit psychique, corporel ou organique.
Parfois le patient apporte en séance qu’il a fait un malaise, ou qu’il a eu un accident. Le clinicien doit immédiatement lui demander la pensée qui a précédé le déclenchement de ce symptôme. Normalement le patient dit ignorer ou ne pas voir l’intérêt d’une telle démarche. Le clinicien doit faire usage de l’autorité du transfert pour lui demander de se poser la question de la pensée qui a précédé l’expression corporelle ou l’acte organique. Le résultat est que, au fur et à mesure, il se rappellera de la pensée et ainsi, il pourra s’approcher du matériel inconscient qui l’anime car, les êtres vivotent sans avoir la moindre conscience de l’existence d’un monde inconscient qui les habite.
Je propose le baptême de la technique, mais l’expérience est d’abord freudienne.
Une fois que le patient, mais surtout le psychanalysant, remarquent que ses actes sont des tentatives de règlement des pulsions, réponses à des fantasmes ou injonctions délirantes, ils commencent à se rendre compte que ce qu’ils font aux enfants, ce sont des réponses de leurs moi devenu grand presque adulte et poussé par les organisations intramoïques, à se venger de l’affront vécu enfant.
La psychanalyse c’est du sérieux. Elle fait série, l’autre nom de l’association libre. Elle évite, dans le cadre de la rencontre avec un psychanalyste, que l’adulte se venge, se venge sur plus faible que lui, au nom de la haine retenue et nourrie depuis son enfance.