Fernando de Amorim
Paris, le 9 novembre 2023
I – La science physique et la science biologique ont comme objet d’étude un être séparé de l’être. L’objet de la psychanalyse, le désir, se trouve en construction hypothétique dans l’être. Le désir ne sera jamais vu, ni lu comme la comète ou la bactérie. Seules les conséquences de sa présence manquante seront la preuve qu’il y a eu étude scientifique et construction chez l’être de sa position de sujet et cela grâce à la méthode et aux techniques de la psychanalyse. La psychanalyse est une science. Elle a un objet d’étude, le désir ; une méthode, celle des associations libres ; des techniques qui lui sont propres, comme la technique de la nomination et la technique de l’écarteur. Elle ne peut pas être un dogme car elle n’apporte pas de vérité indiscutable, elle n’est pas communautariste, elle ne peut pas non plus être une croyance car elle n’exige pas une adhésion de ceux qui la pratiquent et comme elle n’exclut pas le doute dans ses avancées, la traiter autrement qu’en science revient à ne pas prendre en compte les efforts épistémologiques entrepris depuis Freud pour l’inclure dans le champ scientifique.
II – En ce sens, le psychanalyste, et non la psychanalyse, est entièrement habilité à travailler avec le névrosé et, depuis Lacan, avec le psychotique puisque celui-ci a poussé ses élèves à travailler (au sens d’apporter une réponse clinique et théorique) avec la psychose chez l’être humain. Aujourd’hui, le psychanalyste opère aussi dans le champ de l’autisme et dans le champ des maladies de laboratoire – j’entends par ce terme des pathologies qui sont inventées par des praticiens qui ne savent pas opérer avec l’inconscient. Pour aider le lecteur, je propose une métaphore. Il faut entendre ici « psychanalyse » comme le nom de l’embarcation qui naviguera avec l’être en souffrance dans les eaux d’une psychothérapie avec psychanalyste (Cf. Cartographie du RPH), et dans les eaux jamais sillonnées de l’inconscient structuré comme un langage dans le cas d’une psychanalyse.
Cette métaphore vise à donner au lecteur une représentation clinique de ce qu’est le travail du psychanalyste, à savoir, veiller à ce que la cure avance et aussi à ce que le bateau ne dévie pas de sa route clinique. Je reçois des enfants porteurs de diagnostics de TDAH – trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité – ; je ne m’arrête jamais à ces diagnostics, que j’appelle maladies de laboratoire, car derrière eux il y a toujours un médecin qui ne sait pas où donner de la tête face à des parents qui ne savent pas davantage quoi faire et qui prescrivent des médicaments, comme le méthylphénidate ayant plusieurs formes et dénominations (Ritaline®, Concerta®, Quasym®, Medikinet®). Pourquoi ne font-ils pas appel à un partenariat avec le psychanalyste ? C’est regrettable pour les parents, le médecin (généraliste ou psychiatre), le psychanalyste mais c’est surtout déplorable pour l’enfant.
Je reçois les enfants avec un tel diagnostic en consultation normalement ; j’entends par-là sans les traiter différemment d’un autre enfant qui a perdu son petit frère, qui a des difficultés à l’école ou qui a un diagnostic d’autisme. En revanche, je demande aux parents de s’engager aussi en psychothérapie. Sans le désir décidé des parents, le traitement psychothérapeutique avec l’enfant avortera en quelques séances.
On comprend le succès de la pratique médicamenteuse avec ces enfants : le praticien n’a pas le courage ni la formation, d’impliquer les parents dans la danse du soin de l’enfant. Ce point est l’essentiel de ma clinique avec tous les enfants qui viennent me rendre visite. Le symptôme de l’enfant est le héraut des organisations intramoïques des parents. Ainsi, j’estime, à partir de ma clinique, que la psychothérapie avec psychanalyste, voire la psychanalyse, est un soin de première intention pour une famille où l’enfant est dit « TDA(H) ». Comme avait dit un comique : Je t’aide, à la hache ! Le psychanalyste opère de manière plus subtile. Même si son action peut déranger le Moi, elle apaise l’être.
III – La psychanalyse ne porte aucun message qui soit défavorable à un parent. En revanche, le parent peut découvrir en psychothérapie avec un psychanalyste, ou en psychanalyse, qu’il est responsable de ce qui arrive à son enfant. Les psys ne rendent pas service ni au parent ni à l’enfant de faire croire à ce dernier qu’il est malade. L’enfant est souffrant mais la responsabilité d’un clinicien est de faire en sorte que le parent assume la responsabilité de faire partie de la thérapeutique pour l’enfant dont il a la charge. Il ne s’agit pas de la faute du parent mais bien de sa responsabilité de veiller à ce que l’enfant puisse devenir un adulte.
Est-il possible d’affirmer que la psycho-éducation est validée scientifiquement ? Apprendre à un patient sur son trouble pour le rendre autonome renforce son Moi mais exclut la possibilité qu’il devienne sujet. Or, que l’être devienne sujet est le projet clinique d’une psychanalyse permis par des critères scientifiques qui lui sont propres. La psychoéducation n’inquiète pas le Moi des parents qui sont eux-mêmes aux prises avec leurs organisations intramoïques. Cependant, j’estime que rendre un être autonome de son symptôme relève d’une stratégie sans ambition désirante. Il s’agit d’un dressage du Moi qui va de pair avec le manque d’ambition thérapeutique des soignants qui, sans savoir ce qu’ils désirent, ne peuvent proposer que du dressage du Moi. Est-ce un reproche ? Loin de là ! J’estime qu’il y a des êtres qui ne peuvent espérer que cela en tant qu’être. Je ne me suis jamais opposé à la pratique de techniques de dressage du type TCC pour la même raison, à savoir que l’être tient à laisser passer le temps qui lui reste à respirer, bouffer, chier, sous les jupes du Moi, avant de mourir. La psychanalyse propose une construction, non le renforcement de l’aliénation du Moi.
Être actif dans le processus de soin c’est se séparer du désir de l’autre parental, c’est s’engager avec la construction de son désir à partir de l’Autre barré. Cette opération n’est pas pour tout le monde. Il ne s’agit pas de comprendre les processus du TDAH car avant de comprendre il faut savoir. Les comportements adoptés pour autonomiser les patients sont, en fait, des dressages. Le psychanalyste a pour visée que l’être associe librement ses symptômes. Le TDAH est traité comme un trouble médical, ce qui exclut la position radicale de l’être dans le monde. Il n’y a pas deux patients avec le même symptôme TDAH. Une telle stratégie écrase toute possibilité de naissance possible du sujet. La prise de conscience est une formule plate. Durant ma journée, j’entends des patients dire « J’ai conscience de mon trouble ! ». Or, avoir conscience n’a jamais été une solution thérapeutique. Le TDAH est une expression des organisations intramoïques ; vouloir mieux agir pour prévenir les conséquences négatives du trouble, pour gérer le trouble ou le quotidien sont autant de manières, non dites, tout en s’autoproclamant scientifiques, de tenter de museler la puissance des pulsions latentes.
Les recommandations ne sont pas respectées en psychoéducation parce que le Moi ne peut pas empêcher l’expression libidinale. En parlant de konstante Kraft, Freud indique cette force constante qui habite tout un chacun et quelques-uns, se pensant plus malins, inventent des techniques pour fortifier le Moi, du type psychoéducation, au contraire de proposer à l’être souffrant de danser avec son désir sur le divan.
Je ne propose pas aux parents de comprendre, mais de savoir tout d’abord sur leur désir, ensuite, ou en même temps, d’écouter ce que veut dire la souffrance de leur enfant. Il s’agit d’une opération difficile, parfois épuisante, mais qui se révèle riche pour les concernés.
Parler de la psychoéducation comme si c’était une démarche scientifique c’est simplement soulever un drapeau sans toutefois apporter les preuves de son action. La psychanalyse soulève un drapeau, celui du complexe d’Œdipe, et indique à celui qui souffre qu’il ne peut pas faire l’économie de naviguer dans les eaux œdipiennes. C’est son symptôme TDAH qui le lui signale. Parler de 70% d’héritabilité du TDAH est fumeux en tant que calcul comme en tant que publicité. Un trouble est propre à un être puisqu’il n’y a pas deux êtres pareils en ce bas monde. Calquer la méthode scientifique de la physique aux êtres humains c’est oublier que ces derniers parlent et que les atomes n’ont pas de joie.
La psychoéducation, au contraire de permettre aux parents de comprendre les mécanismes de leur enfant, devrait aider les parents et leurs enfants à venir chez le psychanalyste. Au contraire de vendre que la psychoéducation permet de s’épanouir pleinement, le psychanalyste écoute une détresse qui vient du fait que s’épanouir pleinement est une propagande attrape-nigaud car dans la vraie vie, cela ne se passe pas comme ça. Et pourtant, il est possible de désirer, à condition de devenir sujet et de construire sa responsabilité de conduire aussi sa destinée.
Proposer comme thérapeutique la psychanalyse ou du magnétisme c’est mélanger les torchons et les serviettes. Un tel discours est une marque d’incompétence ou de mauvaise foi.
Il faut dire que j’ai le plus grand respect pour les TCCistes, les marabouts et les magnétiseurs car c’est à l’être de décider ce qu’il veut faire pendant sa permanence sur cette planète.
La psychanalyse n’est pas du tout dogmatique. Je ne peux pas dire la même chose des analystes. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’eux-mêmes s’interprètent en s’auto-nommant analystes et non psychanalystes. Sans oublier les psys qui se disent « d’orientation analytique ».
La psychanalyse n’a pas la prétention de tout expliquer. Une telle idée, obtuse en soi, n’engage pas un être en souffrance, parent ou enfant, à chercher de l’aide chez un clinicien autorisé à assurer des psychanalyses.
Une approche psychanalytique n’est pas une psychanalyse, autant qu’un analyste n’est pas un psychanalyste. Il faut dire que lorsque ce dernier rencontre un enfant et des parents qui apportent la bannière du TDAH accrochée à leurs lèvres, le psychanalyste est mis, par eux, dans la position de psychothérapeute ; ce que j’avais évoqué en tant que psychanalyste dans la position de psychothérapeute. Un psychanalyste peut occuper la position de psychothérapeute, un psychothérapeute – qu’il soit psychologue ou psychiatre – ne peut pas occuper la position de psychanalyste quand le patient, devenant psychanalysant, le sollicite pour occuper cette position.
Les donneurs d’avis aiment dire « pour moi, la psychanalyse est ceci ou cela ». La psychanalyse est une science qui conduit des êtres à devenir sujet, indépendamment de leur symptôme ou de leur maladie.
C’est drôle d’entendre les donneurs d’avis dire ce qu’est la psychanalyse alors qu’ils ne savent pas de quoi ils parlent. La psychanalyse accueille l’être humain, indépendamment de son âge. Dire que la psychanalyse est utile à l’adulte me fait sourire. Je pense à Madame K., soixante-dix-sept ans, qui était sur mon divan ce matin, je pense à la jeune Camille, huit mois, que j’avais rencontrée à l’hôpital il y a maintenant plus de trente ans de cela.
De même, il est drôle d’entendre dire que la psychanalyse n’est pas un soin. C’est grâce à la psychanalyse que, depuis plus de quarante ans de clinique, il n’y a pas eu un suicide dans ma consultation ni dans celles des membres du RPH. La raison ? J’engage l’être à, précisément, prendre soin de savoir sur la haine qui l’habite, le désir de destruction de l’Autre non barré qui l’habite et qui pousse le Moi, dans un moment de désespérance absolue, à se jeter sous le métro, au moment où les êtres rentrent du travail ou courent pour aller chercher leur enfant, pour aller dîner ou aller faire l’amour. En se jetant sur les rails du métro, à ce moment précis, le Moi signe avec son acte la haine qui n’a pas été soignée. Et la psychanalyse ne serait pas un soin ? Ce qu’il ne faut pas entendre !
La psychanalyse ne prend la place d’aucun autre soin car elle n’est pas maître de l’être : ce sont les malheureux qui viennent frapper à la porte des psychanalystes.
Les psychanalystes ne sont pas dans la concurrence commerciale. Ils n’en ressentent pas le besoin et ils ne sont pas dans le besoin.