Tout, sauf savoir
Fernando de Amorim
Paris, le 29 septembre 2020
« Révolutionner les mentalités comme les pratiques, mettre un terme à l’errance diagnostique, soutenir les familles ». C’est dans ces termes que commence l’article d’Agnès Leclair dans Le Figaro du 29. IX. 2020. Le problème de la révolution, et cela depuis le XIII e siècle, c’est qu’elle revient au point de départ.
Pour changer les mentalités il faut des preuves que ce qui est proposé fonctionne. Et cela ne se fait pas sans la participation décidée des personnes engagées avec l’autiste et non avec l’autisme. Le mot autisme est plus cité que le mot autiste dans l’article et, lorsqu’il est cité il est associé à « …autistes dits “sans solutions”… », « …autistes non diagnostiqués… », « …autistes n’avaient pas accès à l’école. », « …prise en charge des adultes autistes commence tout juste à se profiler… ». Bref, c’est la tristesse inclusive.
Le psychanalyste ne travaille pas avec l’autisme, il travaille avec l’autiste, avec sa famille. Il ne se protège pas derrière une quelconque connaissance scientifique, il est témoin de la construction du savoir subjectif de l’être. Le psychanalyste se jette à l’eau, monte à bord du bateau et rame avec l’autiste et ses parents, quel que soit son âge. Avec un tel engagement clinique, je ne suis pas étonné que madame Compagnon, déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l’autisme – et non pour l’autiste –, ne soit pas compagne de la psychanalyse. Elle a bien raison de vouloir exclure la science du dérangement, de la bousculade et du réveil du Moi aliéné et de l’être pleutre de ses fiches et réunions. Cette science a été nommée psychanalyse par Freud. Quelques-uns, me semble-t-il, voient en elle l’infâme voltairien. Il me semble, je n’en suis pas sûr, qu’ils fassent fausse route. Le problème
avec la fausse route c’est aussi l’asphyxie. Je tiens donc à signaler aux détracteurs de la psychanalyse, qu’elle est amie de l’être, non du Moi.
Ce dérangement, cette bousculade ne vient pas du clinicien, évidemment. Ce dernier est entraîné à supporter et à repérer la souffrance de l’autiste sous forme d’absence ou de quasi babillage, de contact visuel, d’intérêt pour les objets et personnes qui l’entourent, son semblant à ne pas écouter, ses répétitions corporelles, acquisition et disparition du langage (cela pour la première année) ; un champ d’intérêt bien précis, absence d’intérêt pour les autres camarades, l’automutilation, le renfermement sur soi, la répétition des mots sans que son interlocuteur aie l’impression que l’enfant aie vraiment compris, la difficulté de l’enfant à accepter d’être reconnu par l’Autre (« Te voilà ! ») et à se faire reconnaître par l’autre (« C’est moi ! » – un sourire de l’enfant est un début de sa reconnaissance de lui-même en réponse à la parole de l’adulte), la difficulté de varier de nourriture, d’habits, de chemins, de jeux, de musique (cela jusqu’à deux ans). Ces signes peuvent être repérés à l’âge adulte aussi.
Voilà ce qu’accueille le clinicien formé à la psychanalyse au quotidien et pendant des années, plusieurs fois dans la semaine.
Le psychanalyste peut supporter – à condition que les majeurs, parents de l’enfant, ou l’autiste majeur soient d’accord –, la navigation clinique qu’il propose.
Qu’un autre praticien, une fonctionnaire, une responsable d’association ou un parent
mécontent car ignorant de ce que fait un psychanalyste, puissent avoir un tel souffle pour supporter le transfert de l’autiste, tout en mettant ce dernier au travail clinique ainsi que sa famille et pendant des années et m’apportent une clinique ou une technique plus apte à opérer avec la détresse de l’autiste et je change de métier sur le champ. Je ne joue pas avec la vie de l’autre parce que je ne joue pas avec mon existence.
Le problème de la prise en charge de l’autiste vient de loin. Le majeur ne veut pas saisir l’autisme comme un signalement que ça cloche du côté du désir de l’Autre parental et de la construction du désir de l’être enfant.
Il est beaucoup moins emmerdant pour tout le monde (les parents, la famille, la société), je le concède, d’éloigner l’être dans la position d’autiste de la vie sociale ou de l’intégrer en tant que porteur d’autisme et non en tant que citoyen à part entière. Il ne faut pas de la clinique du psychanalyste mais il faut des demandes pour des locaux spéciaux pour l’autisme, il faut de l’argent pour la recherche, avec la promesse que le virus, le gène, la bactérie de l’autisme seront découverts bientôt. Cependant, peu sont les candidats, du côté des parents, pour venir en séance avec l’enfant pour dévoiler ce qui cloche symboliquement. Et symboliquement ici fait référence au langage, à la parole et au désir. Ce n’est pas un reproche, c’est un constat.
Celui qui écrit ces lignes est toujours en psychanalyse et j’atteste que ce n’est pas toujours facile de construire son existence. Et cela concerne l’être parlant, autiste ou non.
Il y a quelques années, j’avais appelé les pédiatres de mon secteur pour leur proposer de m’adresser les jeunes enfants dès qu’ils remarquaient l’installation d’un quelconque comportement autistique. Je n’ai reçu aucune réponse.
Ainsi, je propose, au contraire de nourrir des discours stériles – « La France a-t-elle dans le même temps tiré un trait sur les prises en charge psychanalytiques, “non consensuelles” selon la Haute Autorité de santé et dénoncées par les associations de parents ? » –, de créer un groupe de travail psychanalytique et un autre groupe avec les pratiques souhaitées par les personnes en souffrance (parents, responsables d’associations) et les fonctionnaires cités dans l’article ci-dessus.
Mon idée est de mettre la lumière, à partir d’une clinique scientifique, ce qu’est la psychanalyse ou la psychothérapie conduite par un psychanalyste. La psychanalyse n’a aucun intérêt à nourrir des discussions inutiles et le psychanalyste n’a pas de temps pour se défendre des lynchages médiatiques. Il a des patients à écouter.
La psychanalyse est une science, avec une méthode et des techniques qui peuvent être utiles à l’enfant, à condition que le Moi des majeurs qui l’entourent acceptent de monter à bord du bateau psychanalyse au lieu de rester à quai à proférer des horreurs tout en indiquant ce qui est bon ou n’est pas bon pour sortir l’enfant de la situation dans laquelle il se trouve.