Fernando de Amorim
Paris, le 19 juin 2024
« […] un petit clystère insinuatif, préparatif et rémollient,
Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, Le malade imaginaire, Acte I, Scène I
pour amollir, humecter et rafraîchir les entrailles de monsieur. »
Affirmer qu’une maladie est vraie exige des examens qui le prouvent. En cas contraire, la porte est ouverte à l’interprétation et l’interprétation chez les êtres humains a, la plupart du temps, un statut imaginaire.
Quand quelqu’un ne sait pas poser un diagnostic, il ne le pose pas et il demande un avis. Ça, c’était la vieille école, celle de Freud lorsqu’il demande de l’aide aux Français Liébeault et Bernheim pour soigner la baronne Anna von Lieben (le cas Caecilie).
Cela ne s’invente pas : la baronne Liebe(amour)n prise en charge par le docteur Freude(joie).
Aujourd’hui, des maladies de laboratoire pullulent à chaque page du DSM avec le consentement épistémologique des médecins français. Au nom d’une science de plus en plus vétérinaire, mes collègues se laissent emporter par la platitude de l’observation, par le diagnostic aléatoire, par une arrogance moïque qui augmentent inévitablement les dépenses publiques. Le tout pour éviter ce que depuis toujours, avant Freud même, la médecine a évité soigneusement, à savoir le fantasme à fleur de peau, le délire qui nourrit la haine intestine, le désir dans les entrailles de monsieur…
Les troubles neurologiques fonctionnels sont des symptômes corporels qui doivent être reçus par des psychiatres et neurologues avec un psychanalyste, dans un procédé que j’avais appelé clinique du partenariat.
Pour quelle raison introduire le psychanalyste au cœur de la clinique médicale ? Parce que les symptômes qui sont identifiés sous l’intitulé artificiel « TNF », pour trouble neurologique fonctionnel, à savoir crises non épileptiques psychogènes, déficit moteur, tremblement, dystonie, ne présentent pas de lésions. Une telle constatation clinique, après des examens médicaux et, ici, nécessaires, devrait pousser les neurologues à faire appel, sans tarder, à un psychanalyste et à introduire, comme voie thérapeutique, le traitement psychothérapeutique ou psychanalytique.
Il n’existe pas de chevauchements avec d’autres troubles ayant une symptomatologie corporelle ou somatique, selon cette bête à cinq pattes que les américains ont nommée DSM.
Les troubles neurologiques fonctionnels – ceux que j’avais indiqués plus haut ainsi que la fibromyalgie, le syndrome de fatigue chronique, les troubles fonctionnels digestifs – sont des maladies de laboratoire.
Je vise ici les médecins qui se sont engouffrés dans l’étude strictement médicale de ces soi‑disant maladies, accompagnées des bénéfices secondaires qui viennent avec, tels la jouissance de continuer à ignorer la présence du désir dans le corps humain, les crédits, la reconnaissance sociale.
Le gaspillage d’argent public avec des examens, des médicaments, des consultations, des imageries fonctionnelles est loin de m’autoriser à évoquer une avancée quelconque sur le plan clinique.
La souffrance des patientes est évidente, mais la manière de la traiter mérite un zéro pointé.
Lesdits troubles neurologiques fonctionnels signent la souffrance dans le corps et cette souffrance ne se résout pas avec des images, des comprimés ou des arrêts maladie, mais avec la construction d’une responsabilité de conduire aussi sa destinée.
Ma remarque exclut-elle les médecins ? Pas du tout. Mais ils doivent savoir que le psychanalyste obtient des résultats – en écoutant la souffrance – beaucoup plus avantageux que ceux que les médecins peuvent obtenir.
Une contribution scientifique devrait être mise en place par des médecins avec des psychanalystes pour que les premiers puissent avoir la sensation, à la fin de la journée, de faire clinique.
Dès que quelqu’un ne construit pas son désir il – l’être – se sent invalidé. L’expression de cette invalidité, ce sont des symptômes invalidants. Un symptôme est réversible quand l’association libre est mise en place par le clinicien et respectée à la lettre par le patient. Une telle démarche serait impossible dans les cas de maladies avec lésion.
Depuis le XIXe siècle, on parle d’hystérie, de psychose, de symptômes psychiques qui s’expriment dans le corps. Depuis 2013, les psychiatres du DSM ont inventé les TNF, parce qu’ils ont supprimé le mot « hystérie ». La morale sociétale américaine contamine le monde et inonde le monde psychiatrique et neurologique de références absconses.
Admettre qu’aujourd’hui on parle de TNF, quand avant on parlait de trouble de conversion et encore avant d’hystérie, est d’une lâcheté clinique sans nom, voire d’une ignorance épistémologique crasse. Le TNF est un phénomène qui doit être examiné avant que le clinicien pose un diagnostic structurel (névrose, psychose, perversion), puis un diagnostic spécifique : hystérie, paranoïa, masochisme, par exemple.
Il ne faut pas confondre discours scientifique et discours scientiste : qui pose le diagnostic, c’est l’intéressé, à savoir l’être dans la position de psychanalysant (Cf. Cartographie RPH). Le diagnostic tombe des lèvres du psychanalysant et il sert alors au clinicien pour conduire la cure et non pour assigner au patient une étiquette à vie.
Un être humain n’a rien à faire de la physiopathologie d’une pathologie qui n’existe pas. Un cancer existe. Un trouble fonctionnel existe pour celui qui souffre parce que ce dernier ne sait pas parler ce qui le fait souffrir. Donnez à ce trouble de laboratoire un statut prétendument scientifique, c’est faire semblant que la clinique psychanalytique n’existe pas.
Éviter de stigmatiser le patient parce qu’il est de structure psychotique ou qu’il interprète le monde de manière hystérique, ce n’est pas faire de la clinique, c’est entreprendre de faire la nounou pour le Moi du patient. Un clinicien opère avec l’être, pas avec le Moi. Le Moi est haïssable pour Pascal ; pour le psychanalyste, le Moi est aliéné. Ce qui revient au même : le Moi hait le corps qui l’abrite, le Moi hait l’autre. Mais le Moi est aussi victime des organisations intramoïques desquelles il est la proie quotidienne. En d’autres termes, la clinique humaine est un foutoir dans lequel le médecin ne peut pas se contenter de trois laxatifs, un antidépresseur et six mois d’arrêt maladie.
Les patients sont trompés quand un médecin ne leur dit pas que, dans leur cas, il est nécessaire de rencontrer un psychanalyste. Le problème est que le médecin n’a pas l’autorité pour cônifier une partie du transfert que le patient lui adresse, pour que l’être de ce dernier puisse envisager le courage de savoir sur ce qui le fait souffrir pour de vrai. Pour ce qui est du pour de faux, le Moi s’en occupe, avec brio. Un médecin n’est pas forcément un clinicien, il est quelqu’un qui a été sanctionné avec un diplôme en médecine.
Les symptômes corporels ne sont ni neurologiques ni psychiatriques. Ils sont des souffrances pour lesquelles le psychanalyste peut faire appel au neurologue ou au psychiatre pour un avis, si le patient présente des symptômes neurologiques (troubles du mouvement, déficit sensitif, moteur) ou s’il demande une médication psychotrope.
La clinique du partenariat est une collaboration clinique au service du patient et non une compétition idéologique. Les médecins s’intéressent à cette apparente maladie, mais ils ne s’intéressent pas au patient, à sa vie psychique, amoureuse, sexuelle. En d’autres termes, ils regardent le doigt sans regarder la lune qui leur fait face. Ce n’est pas en inventant des sociétés telles la Functional Neurological Disorder Society (FNDS) que les médecins toucheront la souffrance, bien vraie, de l’être.