Fernando de Amorim
Paris, le 4 mai 2022
Normalement on dit une société composée d’adultes. Mais eu égard au degré de lâcheté généralisée envers soi-même et la société, avec ces liens symboliques qui s’effilochent et accouchent d’un amas de majeurs, cet amas je le qualifie de « sociétal ».
Je propose d’établir une distinction entre la position du Moi en tant que majeur, la position du Moi en tant qu’adulte et celle de l’être en tant que sujet. Cette distinction vise celles et ceux qui ont la responsabilité de prendre en charge, en tant que parents ou soignants, des mineurs ou des majeurs ayant des difficultés à vivre avec leur corps. Le Moi du majeur a des droits propres à sa majorité : sortir sans rendre compte à qui que ce soit, baiser, faire des enfants mais ne pas se sentir responsable de leur éducation, de leur intégrité corporelle, voire de leur vie. Le Moi de l’adulte assume ses responsabilités qui découlent de ses actes et donc ses responsabilités envers ses enfants. L’être dans la position de sujet est d’un autre registre : son Moi est dégonflé et une fois sorti de psychanalyse (car comment advenir à cette position autrement ?) il s’engage avec la responsabilité de, lui-même, construire son existence. Ce qui implique de ne pas empêcher la construction de l’existence de l’autre, son enfant, son voisin, un inconnu. En d’autres termes, sa haine, qui est propre à ses organisations intramoïques, n’est pas le moteur manifeste ou latent dans son quotidien.
Cela n’est pas le cas pour le majeur.
Dans « Le Parisien » du 3 mai 2022, j’apprends que des jeunes regrettent d’avoir voulu changer de genre. Une telle opération, il faut le signaler sans ambigüité, est du registre de l’imaginaire car personne ne peut changer son réel. Il est possible de changer de classe sociale ou de religion parce qu’elles sont des inventions du Moi, donc du registre de l’imaginaire, ce qui n’est pas le cas de l’organisme, qui est du registre du réel. En d’autres termes, pour l’être parlant c’est sexe masculin ou féminin, la suite ce sont des constructions imaginaires autour du sexe et, pour cela, il est possible de compter avec l’érudition et la parole libérée des usagers des « rézeaux sossiaux » – en référence au niveau intellectuel et culturel des usagers – qui, sans doute, sont pour quelque chose dans « la mode » de changement de sexe. Le Moi aliéné par structure des parents ne doit pas faire oublier au lecteur le désir de l’Autre non barré qui manipule ce même Moi et qui cautionne le refus du jeune de vivre avec son corps, le tout validé par la mollesse généralisée des médecins inadaptés à la clinique humaine, celle du désir inconscient.
Les psychanalystes ont fait appel à la prudence, à être entendus par les autorités, par les associations, par les parents, mais la populace internautique et le Moi fort des idéologues sont beaucoup plus puissants que les paroles dites par des cliniciens soucieux des dégâts irréversibles sur le corps des jeunes. Nous y sommes : « Sacha, 19 ans veut redevenir Anna ».
Ces drames signent la lâcheté du Moi de chaque majeur qui, de sa position, cède de sa responsabilité, pour empêcher le jeune d’user et d’abuser de son corps. Qu’il soit parent ou médecin, psychiatre ou chirurgien : il s’agit d’une faute grave. Je ne souhaite pas une punition, un blâme ou un quelconque reproche, mais j’attire l’attention sur le fait que lorsque ces jeunes sont en psychothérapie avec un psychanalyste, leurs maux trouvent refuge pendant la tempête qui est la traversée de la jeunesse. Pour quelle raison saboter la psychothérapie ? Parce qu’elle va dans le sens de la castration de l’Imaginaire et du dégonflement du Moi du majeur, qu’il soit parent ou soi-disant soigneur.
Quand un jeune évoque sa « souffrance liée au sentiment de n’être pas né dans “le bon genre” », cela doit être la preuve pour un parent ou un médecin, qu’il ne va pas bien psychiquement. Tout acte visant à contenir ce sentiment peut produire des ravages. Le changement de genre à l’aide d’hormone et de mutilations sont des actes de contention et non traitement de la détresse de ne pas être encore.
L’Académie de médecine met en garde contre les démarches hâtives des transgenres qui finissent par regretter leur geste, en soulignant que « Le risque de surestimation diagnostique est réel … ». Or le diagnostic est une orientation de la route de fond pour le clinicien et non une fin en soi pour le patient. La remarque de l’Académie, comme la discrétion du Conseil des médecins démontre l’absence du discours psychanalytique chez eux. Le discours psychanalytique auquel je fais référence est celui du désir. Il est nécessaire de faire entendre le discours du désir dans l’esprit de celles et ceux qui donnent l’orientation clinique aux praticiens. Et évoquer la Suède qui a interdit « les traitements médicaux chez les mineurs au profit d’une prise en charge psychothérapeutique » n’est pas suffisant. La Suède a interdit parce qu’elle a été débordée par les organisations intramoïques (la résistance du Surmoi et l’Autre non barré). Les majeurs suédois ont répondu à la demande du Moi des jeunes et le résultat a été une foule de souffrantes qui ont sacrifiée la livre de chair à leurs organisations intramoïques.
Sans attendre le développement réel de l’organisme, le Moi du mineur pris par l’imaginaire et appuyé par celui des majeurs (parents, médecins, psychiatres, idéologues), bouleversent un processus biologique inachevé. C’est en opérant cliniquement par le symbolique, que le psychanalyste propose au Moi de supporter le dégonflement. Quant à l’être, le psychanalyste propose l’assomption de son corps. Il est saisissant de remarquer comment, une fois le Moi dégonflé, l’être peut trouver grâce à son corps et grâce de son corps à ses yeux. Ce processus exige l’aide d’un adulte (parent, médecin) pour que le mineur en devienne un aussi, à son tour. Or, régulièrement la clinique psychanalytique est sabotée par parents et médecins : les uns refusent de payer la consultation du mineur quand ce dernier commence à s’éloigner du Moi parental, les autres sabordent le transfert du mineur en questionnant le bien-fondé de payer les séances manquées ou le nombre de séances par semaine. Ces méchants veulent maintenir le mineur dans une position de phallus imaginaire et ainsi continuer à exercer leur pouvoir sur leurs dos. Il s’agit de la manipulation où chacun des acteurs, mineurs, parents, médecins, en retirent leur pitance et demandent encore leurs restes. Bien évidemment, « méchants » ici ne signifie pas la personne du papa ou de la maman, pas plus que du bon docteur ou de l’innocent mineur, mais leurs organisations intramoïques. Je ne m’adresse pas à ces gens-là, dixit Brel
Comme écrit plus haut, ce processus exige l’aide d’un adulte pour que le mineur en devienne un aussi, à son tour.
Nous sommes loin de ce compte pour l’instant.